• Barabas, prince des voleurs, ennemi de la société, est enfermé dans les geôles d'Hérode, à Jérusalem, en compagnie de deux comparses et d'un homme muet, mystérieux, à l'aura irrésistible : Jésus. Tous deux doivent être jugés par Pilate, que pressent les prêtres, tous hostiles à l'homme de Nazareth. Pilate s'en remet au jugement du peuple, qui sera libre de gracier l'un des deux hommes. Manipulé par le clergé, le peuple gracie Barabbas et condamne Jésus à la crucifixion. Dès lors, Barabbas, qui est un orateur capable de s'adapter à toutes les situations, s'insurge contre cette iniquité. Lui qui ne se disait d'aucun camps, qui revendiquait l'anarchie et la loi du plus fort, s'élève en juge. Il méprise les apôtres, trop résignés, et Judas, qui a trahi sans assumer la portée de son acte. 

    Dans Jérusalem, à l'heure où Jésus meurt, le barnum, propriétaire d'une baraque foraine, propose à Barrabas un spectacle relatant la Calvaire et la vie du brigand devenu l'idole du peuple. Barrabas ne peut supporter la parodie d'un événement qu'il juge si grave : il incendie les baraques foraines au nom de la justice et provoque une émeute pour venger le Christ...

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    En empruntant aux Saintes écritures l'histoire de la Passion et en la détournant, Michel de Ghelderode a moins voulu dépeindre la fin de Jésus que le déclin d'une idéologie et d'un société vouée à l'échec. En effet, dans Barrabas, tout n'est qu'inversion, Barrabas manie le verbe avec une aisance que l'on ne prêterait qu'à Jésus. Il harcèle les apôtres en leur jetant au visage leur lâcheté et leur traitrise. Les serviteurs de Jésus font figure de bien tristes représentants du message évangélique. De même, le clergé, tout entier voué à sa haine pour l'homme de Nazareth, est présenté comme une caste redoutable à la solde du mal, une antithèse de la religion. Le peuple enfin, ici symbole de la justice, libère un assassin et livre à la mort celui qui aurait pu rendre l'homme meilleur.

     Michel de Ghelderode nous dit : " Ne voulant pas écrire une Passion classique et ne voulant pas tremper ma plume au bénitier et faire un pastiche des Mystères anciens, j'ai pensé à composer quelque chose de contrariant, d'inattendu, et de populaire pourtant. J'ai vu l'envers de la Passion, la Passion vue à travers le peuple, vue d'en bas, des bas-fonds de Jérusalem. Au lieu de me trouver sur le Calvaire, avec les Honorables Témoins, je me suis mis au pied du Calvaire, avec la canaille. Pour incarner le peuple, la tourbe, cette foule violente, émotive, en état de transe, j'ai choisi le personnage dont on ne parle jamais et que l'écriture ne fait que nommer : Barrabas, celui qu'on a préféré à Jésus, celui qu'on a délivré à la place de Jésus. "   

     

     

      


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  • Pour tromper l'ennuie de leur longue chevauchée, Jacques conte ses amours à son maitre. Mai sans cesse des incidents, des rencontres ou des disgressions philosophiques du maitre viennent interrompre son récit. Le point souvent discuté par ce dernier est le fatalisme de Jacques, qui accepte avec bonhomie malheurs et bonheurs, braves et mauvaises gens, sous prétexte que tout " est écrit là-haut sur le grand rouleau " ; et si le destin est capricieux, il est rarement tragique. Et que l'histoire de ses amours soit sans cesse remise par d'autres contes devait être écrit là-haut. Aussi, lorsqu'ils arrivent à leur destination, Jacques est encore loin du dénouement de son récit, mais son maitre tue alors son ennemi, le chevalier de Saint-Ouin, présent à cet endroit par hasard. il était écrit que Jacques serait emprisonné, mais bientôt délivré par un fameux brigand, Mandrin. il retourne alors au château où il fut naguère accueilli et retrouve Denise, l'élue de son cœur, qu'il épouse. Pour l'heure, l'histoire de ses amours n'est pas achevée. 

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    Jacques le Fataliste, écrit sous l'Ancien Régime, publié en 1796, associe, come il est fréquent au XVIIIe siècle, dissertations philosophiques et aventures amoureuses. Jacques est ce que l'on pourrait appeler un libertin, non parce qu'il est débouché mais par l'extrême liberté d'esprit qu'il affiche. Si son maitre est le maitre, c'est par un coup du sort, et Jacques, une fois admise cette disposition des rôles - un maitre et un serviteur - parle en égal avec lui, comme des individus parfaitement indispensables l'un à l'autre. 

    La position de conteur, de qui l'auditeur est dépendant, donne à Jacques un sérieux avantage même si celle-ci est souvent contrariée par les interruptions du sort. Attribuer au " grand rouleau " les causes et les effets des actes humains empiète sur l'autorité et la supériorité de l'aristocrate : c'est l'atteinte à sa légitimité  même. Avec cette idée, courante à son époque, Diderot se montre souvent très drôle et illustre bien le ton badin que l'on attribue généralement au XVIIIe siècle.

    Ses écrits ne furent pas tous publiés de son vivant ; ainsi Jacques le Fataliste, composé en 1774, n'a été imprimé pour la première fois qu'en 1796. Ce chef-d'œuvre donne la mesure du génie de Diderot. Nulle lourdeur, nulle affectation, mais au contraire jaillissement, spontanéité. A chaque réplique, le rire fuse. La générosité, la jeunesse se reconnaissent à ce style. la postérité n'a pas manqué d'accorder à l'écrivain l'hommage que madame de Vandeul, sa fille, rendait à l'homme : "il est impossible de le connaitre sans l'aimer"    

     Pour illustrer le destin, dans sa "rhapsodie" de Jacques le Fataliste Diderot emploie l'image d'un grand rouleau des causes et des effets plutôt que celle, classique, d'un grand livre. c'est qu'un livre a un début et une fin et suppose quelqu'un qui l'a écrit. Ce quelqu'un qu'il a toujours refuser, sans parti pris ni hostilité systématique, simplement parce que cette hypothèse compliquait et obscurcissait encore plus, et inutilement, l'interprétation de la Nature, clef de la connaissance de l'homme. 

     

     


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  • " Foire à Soho. Les mendiants mendient. Les voleurs volent, les putains font les putains. " Dès les premiers mots de sa pièce, Brecht plante le décor : celui d'un monde où le crime relève du quotidien et où les criminels sont de simples professionnels. Dans ce décor, l'affrontement de deux anciens complices qui se transforment en ennemis : Mackie, bandit en gants blancs, tel que l'imagination populaire le rêve - plus cruel et impitoyable qu'un requin, mais capable de faire tourner la tête à toutes les femmes, aux jeunes filles les plus innocentes comme aux prostituées - et Peachum, l'homme d'affaires qui, sans jamais se séparer de sa Bible, a fait de la mendicité un business. 

    A la veille des fêtes du couronnement, Peachum organise avec sa horde de miséreux un défilé de faux mendiants. Mackie, Peachum et Brown, le chef de la police, s'entendent comme larrons en foire jusqu'au moment ou Mackie enlève la fille de Peachum pour l'épouser. Alors tout se gâte. Peachum demande à Brown la tête de Mackie, et l'obtient. En même temps, une tragi-comédie de la jalousie se déroule. Jalousie des femmes qui aiment Mackie, c'est-à-dire de Polly dont le mariage à lieu dans une écurie entièrement meublée d'objets volés, et de Jenny, la fière putain, qui n'hésitera pas à livrer son amant à la police...

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    Conçue par Brecht comme un "essai de théâtre épique", où les dialogues alternent avec des complaintes, des ballades et des chœurs, la pièce nous offre effectivement une sorte d'épopée des bas-fonds, avec quelques figures héroïques. Démystifiant la charité, elle démonte les mécanismes par lesquels pauvres et riches se roulent mutuellement. Mais le cynisme des propos tenus n'empêche pas un certain romantisme à la Charlie Chaplin : tendresse et amour fou sont ici combattus par le destin, mais l'authenticité de ces sentiments n'est pas mise en cause. 

    Extrait

     

    Chanson de Polly, séduite par Mackie

     

    Un jour, pourtant, par un grand soleil fou,
    Il en vint un qui ne m'a rien demandé.
    Il est entré sans un mot, il a accroché son chapeau à un clou,
    Et je ne savais plus ce que je faisais.
    Et comme il n'avait pas d'argent
    Et qu'il n'était pas charmant,
    Comme son col même le dimanche n'était pas blanc,
    Qu'il ne savait pas plaire aux dames et n'était pas galant,
    Je ne lui ai pas dit : non.
    Je n'ai pas gardé la tête haute,
    Je n'ai pas parlé de choses et d'autres.
    Ah, la nuit était pleine d'étoiles
    Mais le bateau n'a pas mis les voiles.
    On ne pouvait pas en rester là,
    Il n'y avait plus qu'à se mettre au lit sans façons.
    Savoir perdre la tête : tout est là.
    Oui, il fallait en passer par là,
    Il n'était pas question de dire non.


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  • Dans un petit village des Pyrénées-Orientales, Ille, M. de Peyrehorade, vieux fou passionné d'archéologie, découvre une splendide Vénus de cuivre dont l'origine mystérieuse lui permet d'échafauder toutes sortes d'élucubrations. Dans le pays, la terrible beauté de l'idole suscite la crainte. M. de Peyrehorade doit marier son fils Alphonse, qui se passionne pour la paume basque au point de s'engager, le matin même de ses noces, dans une partie acharnée. Pour avoir plus d'aisance, Alphonse enfile au doigt de la Vénus l'anneau qu'il réserve à sa fiancée. 

    Quand le soir du mariage, Alphonse veut retirer l'anneau, la statue replie le doigt. Pris de panique, ne sachant s'il a été l'objet d'une illusion, il se retire dans sa chambre nuptiale... 

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    Comme il l'a fait pour Carmen et Colomba, Mérimée, dans la Vénus d'Ille, s'appuie sur des impressions de voyage et une expérience personnelle réelle. C'est d'ailleurs après avoir fait une tournée d'inspecteur des monuments historiques dans les Pyrénées que Mérimée entreprend cette nouvelle. On y trouve donc un intérêt prononcé pour les antiquités, typique de l'époque romantique. M. de Peyrehorade, passionné d'archéologie, incarne à merveille ce goût. Les descriptions très perspicaces de la province, du comportement des habitants et l'emploi d'un langage familier prouvent à quel point l'auteur désire ancrer la nouvelle dans la réalité. Son ton parfois ironique traduit un esprit sceptique qui se heurte pourtant, par moments au sentiment de l'étrange. C'est pourquoi l'action se précipite à la fin pour faire basculer le récit dans le merveilleux. La mystérieuse statue est suspecte, mais rien ne peut la rendre objectivement coupable. Le fantastique triomphe alors : imperceptiblement, l'inexplicable s'est glissé dans la réalité qu'anéantit le surgissement du surnaturel. 

    La Vénus d'Ille est le chef-d'œuvre de Mérimée parce que c'est là qu'il a réussi à donner le maximum de vraisemblance au maximum de surnaturel. 


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  • Vers 1840, une silhouette entrevue un soir amène cinq vieillards à se remémorer dans un salon de Valognes leur jeunesse. Il y a là le baron de Fierdrap, l'abbé de Percy, les deux sœurs de Touffedelys, chez lesquelles se réunissaient secrètement tous les Chouans du Cotentin, Mlle Barbe de Percy qui n'hésita pas à faire le coup de feu pour sauver le chevalier Des Touches, et la belle Aimée de Spens, murée dans sa surdité, vierge et veuve depuis la mort de celui auquel elle était promise, le mystérieux M. Jacques et qui pourtant rougit à chaque évocation de Des Touches...

    Des Touches, beau et cruel, insaisissable comme une guêpe, le plus adroit des messagers entre la côte normande et l'Angleterre ; quand il est capturer pourtant par les Bleus, douze Chouans tentent de le délivrer à Avranches. L'expédition n'échoue que du fait de la geôlière, la Hoscon. Des Touches sera délivré à Coutances, mais M. Jacques y trouvera la mort. Négligé par les Bourbons, Des Touches n'est, trente ans après, qu'un pauvre aliéné qui erre dans la nuit. Le narrateur, encore enfant lors de la soirée où sont évoqués ces souvenirs, apprendra pourtant de lui la raison des rougeurs d'Aimée : la jeune fille, malgré sa pudeur, s'était un jour entièrement déshabillée devant Des touches pour que, de l'extérieur, les Républicains la croient seule au manoir... 

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    Le Chevalier Des Touches, c'est d'abord un rythme infernal, à la ressemblance d'un héros aussi vif et insaisissable que la guêpe ; c'est aussi, face à ces folies de jeunesse où les jeunes filles gardent les plus lourds secrets ou se costument en homme, le portrait pathétique des mêmes personnages, vieillis, bridés par trente ans d'immobilité, le manque d'argent et l'ingratitude des Bourbons. En contrepoint aux héros, aristocrates de naissances ou de cœurs, aussi fougueux que les vagues, apparait une Normandie plus terrienne dont le paysans ne prennent pas part à une arrière-chouannerie qui ne saurait plus rien leur apporter.

    Le Chevalier Des Touches a réellement existé, et Barbey put le rencontrer dans l'asile où il finit ses jours, mais les faits précis n'ont été qu'un point de départ pour le romancier.      


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