• Un coureur acharné poursuit une belle femme, croisée dans la rue, jusque chez elle, où celle-ci s'est réfugiée. L'objet de ses assiduités s'étant révélé être la femme d'un bon ami, le chasseur de jupons, loin de s'en émouvoir et de se retirer après s'être excusé, décide de poursuivre son entreprise de séduction auprès de la belle, qui n'y prête guère attention. Pris par son démon, le séducteur poursuit de ses faveurs cette femme dont le mari s'avère être un homme faible, un personnage falot et sans grand intérêt.

    S'ensuit alors l'intervention de multiples personnages aux caractères variés, caricaturaux et représentatif de chaque catégorie sociale. Ce défilé présente, sans que le spectateur en soit toujours conscient, un fond social peu reluisant, dissimulé sous le gag et la farce, mais qui a l'avantage de sauvegarder la morale en provoquant, dans les derniers moments de la pièce, la chute des mauvais maris et autres compères de mauvaise vie.

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    Joué pour la première fois au théâtre du Palais-Royal le 8 février 1896, Le Dindon fut un triomphe. S'étant passé de la collaboration de Maurice Desvallières avec qui, durant des années, il avait produit de nombreuses pièces, Feydeau a voulu montrer qu'il pouvait seul, créer des œuvres de qualité supérieure. Le Dindon en est la preuve magistrale, car cette pièce n'a rencontré aucune résistance et fort peu de critiques. Avec Le Dindon, Feydeau retrouve la qualité d'Un fil à la patte. Cela tient autant à la forme irrégulière, comme d'habitude en dehors des règles, qu'au fond profondément humain qui met en scène des personnages tragi-comiques, dont la vraisemblance est frappante et le caractère criant de vérité humaine.

    Feydeau ajoute au comique la satire sociale à travers la caricature d'un monde de bourgeois moyens, de nouveaux riches médiocres qui, s'il sont ennemis du scandale, ne sont pas contre une aventure de temps à autre. Maitre du vaudeville Feydeau aura été aussi et peut-être le caricaturiste le plus féroce de son temps, brossant une fresque sociale ou le rire côtoie l'absurde, ou la farce reflète la tragédie au quotidien.

    Cette fois Feydeau aborde de front le grand problème du mariage, qui va courir en filigrane tout au long de la pièce, et dans son œuvre entière. Réussir sa vie, ne serait-ce pas tout d'abord bien choisir son métier - et sa femme ? Or, ce choix n'est pas si simple qu'on le croit généralement. Feydeau ne prétend pas donner la solution. Au moins nous mettra-t-il en face de la triste réalité, avec la lucidité d'un moraliste sans complaisance. 

    Les personnages que Feydeau met en scène sont tous insatisfaits. Ceux même qui semblent comblés par la vie, comme Vatelin et Raymonde Chandebise, désirent quelques chose de plus. En d'autres terme, les gens heureux s'ennuient et compliquent leur vie à plaisir, au lieu d'apprécier leur bonheur, et les autres courent après des chimères.  

    Extrait 1

    - Oh ! Bien ! Vous savez ce que c'est !... un beau jour, on se rencontre chez le Maire... on ne sait comment, par la force des choses ... il vous fait des questions... on répond "oui", comme ça, parce qu'il y a du monde, puis quand tout le monde est parti, on s'aperçoit qu'on est marié. C'est pour la vie.

     

    Extrait 2

    De quel droit ?… Mais du droit que me donnent tous les embêtements qui pleuvent sur moi depuis hier !… Comment, par amour pour vous, je me suis fourré dans le plus abominable des pétrins. J’ai deux flagrants délits sur le dos !… flagrants délits où je ne suis pour rien !… Pincé par un mari que je ne connais pas… pour une femme que je ne connais pas ! Pincé par ma femme, pour cette même femme que je ne connais pas !… Un divorce chez moi en perspective !… Un autre divorce de la dame que je ne connais pas d’avec le monsieur que je ne connais pas où je vais être impliqué comme complice !… Brouillé avec Mme Pontagnac ! La femme que je ne connais pas, venue ce matin pour me dire en accent anglais que je lui dois "le réparation" ! une altercation, compliquée de voies de fait, avec le monsieur que je ne connais pas ! Enfin, les ennuis, les procès, le scandale, tout !… tout !… tout !… j’aurais tout encouru ! et tout cela pour vous jeter dans les bras d’un autre !… C’est lui qui récolterait et moi qui serais le dindon !… Ah ! non ! non ! Vous ne le voudriez pas !

     

     


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  • 1816, dans le Périgord noir. Un métayer du comte de Nansac, châtelain de l'Hern, est condamné pour avoir tué son odieux régisseur. Sa femme fait jurer à leur fils, Jacquou, de venger son père mort au bagne. Orphelin, l'enfant est adopté par le curé Bonal, de Fanlac qui le forme selon une morale humaniste, secondé par le chevalier de Galibert, le seul noble qui soit naturellement charitable. Le prêtre disparu (interdiction de dire la messe), Jacquou braconne pour vivre. Nansac le fait jeter dans une basse-fosse. Sauvé par Galibert, Jacquou entraine les paysans à bruler l'Hern.

    Le procès a lieu lors des journées de 1830 : aussi l'avocat, montrant le bénéfice des révolutions, obtient-il l'acquittement. Jacquou vivra heureux, charbonnier dans sa foret. A l'orée du siècle, riche de descendant, nous l'écoutons raconter son histoire. 

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    " Je raconte mon histoire " mais "je suis un autre" aussi nous dit Jacquou. Personnage emblématique, quand il raconte son autobiographie, il raconte aussi l'âme paysanne dans son rapport charnel au sol natal. Le lyrisme discret des descriptions et la justesse de ton des dialogues annoncent des œuvres telle que Raboliot où prime la relation de l'homme à son terroir. Périgueux est présenté comme le lieu de la culture savante, et Jacquou est encore un homme de nature. Les paysans opprimés à la campagne, ne reconquièrent leur liberté que dans l'espace symbolique de la foret refuge. 

    Lieu du braconnage et de l'errance de la Galiote, la cadette du comte, nymphe tentatrice, elle devient l'image du perpétuel désir de propriété qui lie le paysan à la terre qu'il travaille sans la posséder jamais. Sauf à en acquérir grâce aux intellectuels urbains lorsqu'ils plaident pour une parcellisation des grandes propriétés. Histoire sociales et géographie rurale ont ainsi partie liée dans le roman.   

    Le conte envoûte par l'évocation nostalgique d'un monde de vie rustique que Le Roy, via Jacquou, "dernier croquant du Périgord", nous dit être appelé à disparaitre, à moins de se fermer à la corruption de la ville. 

     


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  • C'est en 1946, à l'âge de 22 ans, que Pascal découvre le jansénisme. Cette doctrine austère et exigeante bouleverse son destin. Alors que l'ampleur de son génie mathématique semblait devoir faire de lui un des plus grands savants de l'humanité, il devient, pour servir la cause de sa foi, un des tout premiers noms de la littérature française. Le jansénisme, en somme, fit triompher l'esprit de finesse sur l'esprit de géométrie...

    Pascal, en effet, consacre dès lors toutes ses forces à la défense de son ordre, très violement attaqué au XVIIe siècle par les jésuites, puis par la papauté elle-même. Les Provinciales, publiées en 1656 à 1657, sont ainsi un brillant outil polémique visant à discréditer les jésuites. 

    Mais le grand projet pascalien restait la rédaction d'une Apologie du christianisme, qui ne vit jamais le jour : la maladie emporta prématurément son auteur à l'âge de 39 ans. Ce qui nous reste du projet, ce sont quelques notes : les Pensées, dont la force provient justement, disent certains, de leur caractère inachevé. 

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    Les circonstances de rédaction de ces Pensée son inséparables de leur esprit. Ce que nous possédons, ce sont de simples notes de travail, jetées sur des feuilles éparses : chercher à reconstituer un ordre est donc chimérique. Pourtant, quelques lignes générales peuvent être distinguées : l'énigme de la nature humaine, sa misère et sa grandeur, le christianisme comme explication de cette énigmes, les preuves de la religion chrétienne et l'expérience de la foi.

    Mais surtout, un même élan, un même esprit confèrent à ces fragments une unité de sens : " Le malheur de l'homme " dit Pascal, " est d'avoir juste assez de grandeur pour ressentir sa misère, son néant, sa solitude. Je suis assez grand pour désirer Dieu, pas assez pour le voir, pour l'approcher. Mon destin est de connaitre Dieu "en creux", par la contemplation de son absence. " Le Dieu de Pascal est un Dieu caché.     


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  • Anatole France - Le Livre de mon ami

    Pierre, enfant tranquille de la bourgeoisie parisienne, mène dans le Paris du siècle dernier une existence faite de jeux, de visites et de promenades, sous la protection bienveillante d'un père médecin et collectionneur naturaliste, d'une mère douce et de voisines distinguées : " La dame en blanc et la dame en noir ". Seul quelques monstres hideux sortis de son imagination viennent troubler, le soir venu, cet univers paisible. L'enfant fait progressivement son éducation. Une fois initié aux plaisir de la lecture, il se forge une culture classique, a mesure de ses achats chez les bouquinistes des quais et de la place Saint-Sulpice. Aspirant d'abord à la gloire militaire, il s'oriente finalement vers les lettres et l'histoire. A l'âge de dix-sept ans surviennent les premiers frémissement du cœur : Pierre s'éprend d'une jeune femme qui néglige ses élans. Il finit par se marier et, devenu père de la petite Suzanne, il observe ses moindres gestes, la mène voir les marionnettes du Luxembourg et lui transmet son goût pour les livres.

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    Dans Le Livre de mon ami, Anatole France raconte les souvenirs d'un autre. L'auteur, c'est bien Anatole France, mais le narrateur présumé est son ami Pierre Nozière, d'où le titre. Le texte se veut en effet fondé sur ls archives personnelles de Nozière. Il se compose de deux parties d'inégale longueur : " Le Livre de Pierre ", consacré aux souvenirs d'enfance, qui occupe les deux tiers de l'ouvrage, et " Le Livre de Suzanne " qui comprend les mémoires de Nozière sur la petite enfance de sa fille. 

    Le lecteur est plongé dans un univers désormais disparu, mais plein de charme, celui de la moyenne bourgeoisie parisienne au cœur du XIXe siècle, entre le Panthéon et le Luxembourg : il assiste à ses loisirs, à sa vie intime. La nostalgie de l'enfance perdue se double du regret de ce monde à la fois discret et cultivé. Un rien suranné, le style de l'auteur contribue grandement à ces sentiments.   


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  • Dino Buzzati - Le Désert des Tartares

    Le jeune officier Giovanni Drogo apprend enfin un matin de septembre qu'il est nommé au fort Bastiani, sa première affectation. Il voit dans cette mutation le commencement de sa vrai vie. Le fort Bastiani se trouve pourtant à une " frontière morte ", entoure d'un désert de pierres et de terre déssechée qu'on appelle, d'après une légende, le désert des Tartares ; il n'a jamais été le siège d'aucun combat. Le jeune lieutenant à tôt fait de décjanter devant cette bâtisse lugubre où il ne se passe rien. Ses supérieurs, le commandant Matti et le capitaine Ortiz, semblent hypnotisé par l'ennui et leur attente commune d'une attaque imaginaire des Tartares. Drogo accepte cependant de rester quatre mois, jusqu'à la visite médicale qui devrait le déclarer inapte à résider au fort. Mais une force inconnue, la mécanique des habitudes qui peu à peu sclérose la conscience, la vanité militaire et la fascination u désert vont s'emparer de lui et le retenir au fort de très longues années...

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     Le sujet du livre est une interrogation dramatique sur la raison de vivre et sur la fatalité du destin. Tout le récit est écrit au passé simple comme si le présent ne pouvait exister pour Drogo : il épuise ses pensées dans le souvenir de la ville où il était heureux, chez sa mère, et l'espoir d'une attaque des Tartares. Buzzati n'utilise le présent que pour s'adresser au lecteur et l'inviter à prendre conscience de la fatalité qui s'abat sur Drogo. Le vie du fort englue progressivement la conscience et engloutit les jours les uns après les autres, au point qu'ils ne semblent pas différents pour le jeune lieutenant, incapable de les distinguer. Même si, un jour, un soldat et son cheval sont tués dans le désert, que tout le fort se met en branle et s'excite à l'idée de la guerre, très vite la monotonie reprend ses droits, et les jours redeviennent les mêmes. La dérision du temps est plus forte que les événements.

    Le fort Bastiani n'est pas localisé. Il faut des journées de cheval depuis la ville pour l'atteindre alors que, pourtant, on le voit de la ville : c'est un mirage. A l'absurdité du temps qui passe, Buzzati ajoute l'absurdité d'un lieu véridique et illusoire à la fois isolé dans l'espace, à 30 km du village le plus proche, le fort est est le lieu de tous les possibles et de tous les rêves. 

    " C'est un livre d'une grandeur exceptionnelle non seulement dans la littérature italienne actuelle, mais même dans la littérature mondiale. Peut-être faut-il remonter jusqu'au Château et jusqu'au Procès de Kafka pour trouver une interrogation aussi dramatique et aussi passionnée sur la fatalité du destin humain " (Marcel Brion)  


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