• Pierre Gripari - Les Contes de la rue Broca

    La rue Broca n'est pas une rue comme les autres. Bien qu'à chacune de ses extrémités elle débouche sur Paris, elle n'est pas tout à fait à Paris. Souterraine en plein air, elle constitue, à elle seule, comme un petit village. Voici quelques années, un curieux personnage se mit à hanter cette rue. Mal vêtu, mal rasé, écrivain sans lecteurs, il disait s'appeler Monsieur Pierre. Mais les enfants de la rue Broca eurent tôt fait de le démasquer : c'était en réalité une vieille sorcière ! De la rencontre entre cet homme et cette rue sont nés les contes de ce recueil.

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    Ecoutons l'auteur : Les enfants comprennent tout, cela est bien connu. S'il n'y avait qu'eux pour lire ce livre, l'idée ne me viendrait même pas d'y écrire une préface. Mais je soupçonne, hélas, que ces contes seront lus également par les grandes personnes. En conséquence, je crois devoir donner quelques explication. 

    Les gens de la rue Broca ont quelques chose en commun : ils aiment les contes. J'au eu bien des malheurs dans ma carrière littéraire, dont j'attribue la plus grande partie au fait que le Français en général - et en particulier le Parisien - n'aime pas les histoires. Ils réclament la vérité ou, à défaut, la vraisemblance, le réalisme. Alors que moi, les seules histoires qui m'intéresse vraiment sont celles dont je suis sûr, dès le début, qu'elles ne sont jamais arrivées, qu'elles n'arriveront jamais, qu'elles ne peuvent pas arriver. J'estime qu'une histoire impossible, du seul fait qu'elle n'a pas, pour se justifier d'être, une quelconque prétention documentaire ou idéologique, a toute les chance de contenir beaucoup plus de vérité profonde qu'une histoire simplement plausible. En quoi je suis peut-être - je dit ça pour me consoler - plus réaliste à ma manière que tous ces gens qui croient aimer la vérité, et qui passent leur à se laisser bêtement imposer des mensonges insipides. 

    Mais revenons à Monsieur Pierre : Un jour que Monsieur Pierre était assis à une table, en compagnie de son éternel café-crème, les enfants près de lui, voici que, de lui même, il se mit à leur raconter une histoire. Le lendemain, sur leur demande, il en raconta une autre, et puis, les jours suivants, d'autres encore. Plus il en racontait, plus les enfants lui en demandaient. Monsieur Pierre dut se mettre à relire tous les recueils de contes qu'il avait lu depuis son enfance, à seul fin de pouvoir satisfaire son public. Il raconta les contes de Perrault, des contes d'Andersen, de Grimm, des contes russes, des contes grecs, français, arabes... et les enfants en réclamaient toujours. 

    Au bout d'un an et demi, n'ayant plus rien à raconter, monsieur Pierre leur fit une proposition : on se réunirait, tous les jeudis après-midi, et l'on inventerait ensemble des histoires toutes neuves. Et si on en trouvait assez, on en ferait un livre.

    Ce qui fut fait, et c'est ainsi que vint au monde le présent recueil.  

     

       


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  • La plupart des histoires suivent la même convention de base : les six membres du club se réunissent une fois par mois dans une salle privée du restaurant Milano au Fifth et au 18 à New York. Chacun prend à tour de rôle l'hôte. Selon la règle de leur club, à tour de rôle, ils invitent un ami, une connaissance, à partager leur compagnie. Le repas est servi par l'incomparable serveur Henry Jackson - presque invariablement appelé simplement Henry - que les habitués considèrent avec beaucoup de respect et même comme un membre réel. La salle comprend des croquis des invités et une bibliothèque avec une encyclopédie qui est souvent consultée.

    Invariablement, lors du dîner, ils découvrent que quelque chose obnubile leur hôte : une anecdote banale en apparence ne cesse d'obséder l'invité. Pour leur plus grand plaisir, les dîneurs vont alors chercher à résoudre cette énigme. Tout aussi invariablement, à la fin de l'histoire, c'est le serveur qui propose la bonne solution, ou du moins la plus plausible. 

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    " J'ai débuté ma carrière d'écrivain dans le domaine de la science-fiction et j'en écris toujours quand je peux, car elle reste mon premier et grand amour littéraire. Je m'intéresse toutefois à beaucoup de choses, et parmi elles, au policier" 

    Son intérêt pour la fiction policière est ancien. Déjà, dans "Les Cavernes d'acier" et "Face au feux du soleil", roman du Cycle des robots, l'intrigue repose sur une enquête policière. En 1958, il publie "Une bouffée de mort, son unique roman policier, qui se déroule dans le milieu scientifique. Ce faisant, il n s'éloigne cependant guère de son domaine de prédilection. 

    En 1971, Eleanor Sullivan, rédactrice en chef de Ellery Queen Mystery Magazine, lui demande une nouvelle policière : il accepte avec enthousiasme. Tournant le dos au récit noir américain alors en vogue qu'il juge sanguinaire, amoral et trop éloigné de ses goûts, il lorgne délibérément du côté d'Agatha Christie et d'Hercule Poirot, à ses yeux le détectives idéal : il réfléchit donc à des récits à énigmes, des constructions cérébrales, du genre de celles qu'il aime lire et qui feront notre bonheur.

     


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  • Peu de conteurs auront été l'objet, de leur vivant, d'autant de ferveur et d'incompréhension que l'auteur du Livre de la jungle. Aujourd'hui redécouvertes après quelques décennies de mépris ou d'oubli, l'œuvre de Rudyard Kipling apparait désormais comme l'une des plus riches, des plus singulières, et souvent même des plus déroutantes de toute la littérature anglaise. Pour avoir trop longtemps considéré Kipling comme le chantre naïf d'un impérialisme suranné, on avait oublié qu'il se faisait de l'Empire une idée très différente de celle que lui prêtaient des critiques qui ne l'avaient que très superficiellement lu, et que, s'il avait incontestablement foi en la mission impériale de l'Angleterre, c'est qu'il la croyait capable d'aimer et, de surtout, de respecter les nations et les peuples qu'elle avait soumis.

     

    Son "impérialisme" ne l'avait du reste pas empêché dans les Simples Contes des collines, par exemple, de se livrer à une description extrêmement ironique et cruelle de la société coloniale britannique, à laquelle il opposait volontiers les civilisations indigènes, dont il admirait les coutumes, les croyances et surtout les légendes? 

    C'est d'ailleurs aux Indes que Rudyard Kipling devait contracter cette passion du contes et de l'étrange qui n'allait jamais le quitter Il naît le 30 décembre 1865 à Bombay, et ses parents le confient à une nourrice indigène qui le bercera de récits fantastiques, peuplés de dieux innombrables et d'animaux fabuleux. De son enfance indienne, le futur écrivain retirera également une véritable allergie à la mentalité monothéiste, et plus particulièrement à son expression judéo-chrétienne. 

    Lorsque ses parents l'enverront en Angleterre parfaire son éducation entre les quatre murs d'une austère pension, il n'ouvrira jamais la Bible sans un profond sentiment d'ennuie et de dégoût, et, au grand dam de ses éducateurs, il s'amusera à truffer l'histoire sainte d'épisodes féériques empruntés aux récits de sa nourrice indienne. Beaucoup plus tard, il se vengera du catéchisme en racontant à sa manière, c'est-à-dire de la plus malicieuse des façons, l'histoire d'Adam et Eve dans Ennemis l'un de l'autre. Chassés du jardin d'Eden, que sont-ils devenus ? "Ils sont heureux et se sont trouvé un nouveau dieu : petit, rose, tout nu, potelé, souriant..."

    De retour aux Indes, tout juste âgé de seize ans, Rudyard Kipling fait carrière dans le journalisme et publie ses premiers contes. Prodigieux observateur, il laisse des tableaux cocasses et souvent acides de la colonie anglo-indienne, et aussi des peintures émouvantes et fraternelles de la vie de caserne, notamment ces délicieux Trois Troupiers, qui sont comme les "servitudes et grandeurs militaires" de l'époque impériale. 

    Mais Rudyard Kipling est déjà beaucoup plus qu'un journaliste, beaucoup plus que le simple témoin d'une époque, et son imagination fertile ne tarde guère à déboucher sur le fantastique.     

    Les sortilèges de la civilisation indienne et les souvenirs de son enfance nourrissent en effet bon nombre de ses contes, et le fantastique prend souvent chez Kipling le relais de la réalité. C'est ainsi que la belle adaptation cinématographique de John Huston, avec Sean Connery et Michael Caine, a permis la redécouverte de L'Homme qui voulut être roi, cette extraordinaire nouvelle où un sous-officier de la vénérable armée des Indes se voit reconnu comme le descendant d'Alexandre le Grand par une tribu de montagnards afghans. 

    Rudyard Kipling, que l'on avait dépeint comme un esprit positif, avait-il donc un penchant pour le surnaturel ? Le thème de la métempsycose lui a en tout cas inspiré, avec La Plus Belle Histoire du monde, l'un de ses plus purs chefs-d'œuvre. C'est en effet l'histoire d'un petit employé londonien dont les rêves découvrent des vies antérieures, tout à tout galérien grec et marin viking... Le fantastique est présent encore dans L'Homme qui fut, dans l'hallucinant Perturbateur du trafic, et même dans la dernière partie de La Lumière qui s'éteint, l'un de ses romans à la fois les plus célèbres et les plus méconnus.

    Infatigable voyageur, témoin désenchanté du nivellement des civilisations, épouvanté par l'avènement planétaire de l'Américan way of life, cet écrivain qui ne pouvait voir le monde qu'au pluriel se retirera définitivement dans le Sussex à la fin du siècle. Il dira dans un poème : 

    "Dieu donne à tous la terre entière,
    Mais notre cœur étant étroit,
    Il fit pour chacun un endroit,
    Qu'il aime d'un amour plus fier"

    Dans cette retraite, où il continuera de défendre une idée généreuse, sans doute anachronique et profondément féodale de l'Empire. Rudyard Kipling ne cesse pour autant d'écrire,  intarissablement. Son retour en Angleterre n'éteint nullement son inspiration fantastique. Avec Puck, lutin de la colline et Le Retour de Puck, le conteur plonge son âme vagabonde dans le folklore païen de sa verdoyante patrie et ressuscite, avec une verve incomparable, tout un peuple de héros, de génies et de dieux. Thor brandit à nouveau son marteau légendaire dans les nuits de solstice, et l'on voit même revenir au printemps le mystérieux "bonhomme vert" l'une des figures mythiques les plus spécifiques des traditions populaires anglo-saxonne, et dont le plus célèbre avatar historique ne fut autre que l'illustrissime Robin des Bois.   

          Qui sait si, dans les landes du Sussex, Kipling ne retrouvait pas un univers féérique, au fond très proche de celui du Pendjab  Entre toutes les cultures de souche indo-européenne, il existe en effet de forts surprenants cousinages...

        Rudyard Kipling est mort le 18 janvier 1936, le même jour que le roi George V. Aux yeux de millions et de millions de lecteurs, le génial conteur demeurera néanmoins avant tout l'auteur du Livre de la jungle et du Second Livre de la jungle. Et ce n'est après tout que justice, car ces merveilleuses histoires de la forêt, assez scandaleusement trahies, soit dit en passant, par Walt Disney, sont en définitive comme le sommet d'une veine fantastique qui puise dans le patrimoine mythique de l'humanité pour fertiliser la fantaisie la plus subtile et la plus charmante, et illustrer la morale la plus noble et la plus exigeante. 

     


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  • Jean Racine - Phèdre

    Trézène, ville du Péloponnèse, Thésée, fils d'Egée et roi d'Athènes, a disparu. En son absence, Phèdre, son épouse, avoue à sa confidente Oenone la flamme coupable qu'elle nourrit pour Hippolyte, fils du roi et de sa première épouse, Antiope, reine des Amazones. Dans le même temps, on apprend qu'Hippolyte aime Aricie, princesse d'Athènes, qui l'aime en retour. 

    Le triangle tragique des passions est dessiné. Au moment où Phèdre se déclare auprès d'Hippolyte, entièrement dévoué à son père, on annonce le retour de Thésée, que l'on croyait mort. Phèdre, sur les conseils d'Oenone, tente dans un premier temps de faire porter la responsabilité de la situation à son beau-fils. Mais bientôt, accablée par la nouvelle du retour du roi, par l'opprobre dont elle vient de couvrir Hippolyte, elle se dispose à avouer la vérité de son amour incestueux à son époux.

    Au même moment même où elle s'apprête à le faire, elle apprend la passion qui unit Hippolyte et Aricie. Torturée par la jalousie, elle décide de ne rien révéler. Hippolyte choisit de s'enfuir avec Aricie. L'inquiétude du roi ne cesse de croitre. Il apprend successivement qu'Oenone s'est jetée dans les flots, puis la mort de son fils et le déchirement d'Aricie. Apparait alors Phèdre qui, dans un ultime discours, avoue sa faute avant de se donner la mort par poison. 

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    Depuis le succès d'Andromaque en 1667, Racine n'a cessé de composer des pièces. Avec Phèdre, il atteint les sommets de son art. Il ne reprendra l'écriture dramatique que treize ans plus tard avec Esther. Phèdre se présente comme la tragédie de la prédestination, tel que Port-Royal et les jansénistes en enseignaient la doctrine. Le personnage de Phèdre, à la lumière de ces préceptes , s'offre dans sa passivité parce qu'il est l'objet d'une fatalité désignée par les dieux, et Vénus en particulier. La fille de Minos et de Pasiphaé est condamnée, à l'instar de sa lignée tout entière. 

    Si la pièce a suscité dès sa représentation de nombreuses controverses, elle a trouvé en Boileau un sérieux défenseur : " Et qui voyant un jour la douleur vertueuse
    De Phèdre, malgré soi, perfide, incestueuse,
    D'un si noble travail, justement étonné,
    Ne bénira d'abord le siècle fortuné
    Qui, rendu plus fameux par tes illustres veilles,
    Vit naître sous ta main ces pompeuses merveilles. 
    (Boileau, Epitre VII)

    Quelques siècles plus tard, l'écrivain André Gide évoque avec enthousiasme et émotion ses lectures de la pièce : " Phèdre, que je relis aussitôt après Iphigénie, reste incomparablement plus belle. Dans Phèdre, soudain, je sens Racine qui se commet lui-même, se livre et m'engage avec lui. Quels vers ! Quelles suites de vers ! Y eut-il jamais, dans aucune langue humaine, rien de plus beau ! "

    Extrait

    PHEDRE : Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue
    Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue : 
    Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler.
    Je sentis tout mon corps et transir et brûler.
    Je reconnus Vénus, et ses fruits redoutables.
    D'un sang qu'elle poursuit tourments inévitables. 

     


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    En 1947, les forces forces de l'Axe l'emportent face aux Alliés. L'ouest du monde appartient aux Japonais tandis que l'est est réservé aux Allemands. Ces derniers ne s'en contentent pas puisqu'ils envoient des vaisseaux sur Mars où les nouveaux arrivants se plaignent que les martiens ne possèdent pas de certificat permettant de prouver qu'ils appartiennent à la race aryenne, aux yeux des nazis l'existence juif apparaît alors comme un problème non résolu. Hitler s'est retiré depuis longtemps et son successeur Bormann meurt au cours du roman, plusieurs hommes sont en concurrence dont le Dr Goebbels et le général Heydrich.

    Du côté Japonais, la vie est plus stable et leurs ambitions moins grandes. L'intrigue se déroule sur la côte Pacifique des États-Unis. Une puissance qu'ils ont détruites en réduisant à néant l'intégralité de sa flotte lors de l'attaque Pearl Harbor. L'influence japonaise est palpable dans l'Amérique du nord post-seconde guerre mondiale. Certains hommes blancs vont jusqu'à pratiquer des UV pour foncer leur peau et les femmes blanches voient l'homme nippon comme le meilleur parti. Les japonais ont apportés avec eux le Yi-King, l'oracle, ancien livre chinois révélateur de conseil et de prophéties, et les populations blanches d'Amérique s'y rattachent également beaucoup.

    Julianna vit sur le côté des Etats-Unis non occupé par les Japonais en tant que professeur de judo. Suite à sa rencontre avec un homme du SS, ce dont elle ne doute pas, Julianna dévore un livre nommé "Le poids de la sauterelle", titre se référant à l'écclésiaste 12:7 de la bible interdite sur le territoire Japonais. Ce livre narre l'histoire comme le monde l'a connu : Avec la défaite de l'Allemagne. L'auteur qui n'est autre qu'Abendsen alias le Maître du Haut-Château - surnommé ainsi car la rumeur veut qu'il vive dans une véritable forteresse surélevé - insiste sur le rôle prépondérant de Franklin D. Roosevelt qui dans le roman a été assassiné en 1933, ce qui plonge les États-Unis dans une sévère crise économique.

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    Comme toujours, au cœur du livre, Dick ne cesse de manipuler les idées de vrai et de faux, son thème fétiche, au travers de diverses facettes de son intrigue. Comme des poupées russes imbriquées les unes dans les autres, ce monde (au-delà de l’uchronie) ne cesse de révéler des doubles tiroirs, des vérités qui ne sont qu’apparences : juif se faisant passer pour un nazi, nazi se faisant passer pour un rital, arnaqueur se faisant arnaquer, livre dans le livre, usage de pseudonymes, impostures et escroqueries en tout genre, objet historique faussement authentique jusqu’au « haut château » d’Abendsen qui s’avère une banale maison de banlieue…

    Dick, profondément ésotériste et croyant à l’existence d’un secret caché derrière le visible, multiplie les faux-semblants, à tel point que le lecteur peut s’y perdre, ne sachant plus démêler le vrai du faux.

    La vérité est peut-être ce qui est le plus difficile à atteindre mais aussi à accepter, nous dit Dick. C'est aussi le fondement d'une dictature : maintenir les populations dans un état de mensonge permanent alimenté par la propagande. Emmanuel Carrère le souligne dans sa bio romancée " Je suis vivant et vous êtes morts " : Dick qui avait étudié beaucoup de livre relatifs au nazisme dont le livre d'Hannah Arendt sur le procès d'Eichmann à Jérusalem, avait été notamment frappé par l'idée que " le but d'un Etat totalitaire est de couper les gens du réel, de les faire vivre dans un monde fictif. Les états totalitaires ont donné naissance à cette chimère qu'est la création d'un univers parallèle. "


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