• Rudyard Kipling - Bio*

    Peu de conteurs auront été l'objet, de leur vivant, d'autant de ferveur et d'incompréhension que l'auteur du Livre de la jungle. Aujourd'hui redécouvertes après quelques décennies de mépris ou d'oubli, l'œuvre de Rudyard Kipling apparait désormais comme l'une des plus riches, des plus singulières, et souvent même des plus déroutantes de toute la littérature anglaise. Pour avoir trop longtemps considéré Kipling comme le chantre naïf d'un impérialisme suranné, on avait oublié qu'il se faisait de l'Empire une idée très différente de celle que lui prêtaient des critiques qui ne l'avaient que très superficiellement lu, et que, s'il avait incontestablement foi en la mission impériale de l'Angleterre, c'est qu'il la croyait capable d'aimer et, de surtout, de respecter les nations et les peuples qu'elle avait soumis.

     

    Son "impérialisme" ne l'avait du reste pas empêché dans les Simples Contes des collines, par exemple, de se livrer à une description extrêmement ironique et cruelle de la société coloniale britannique, à laquelle il opposait volontiers les civilisations indigènes, dont il admirait les coutumes, les croyances et surtout les légendes? 

    C'est d'ailleurs aux Indes que Rudyard Kipling devait contracter cette passion du contes et de l'étrange qui n'allait jamais le quitter Il naît le 30 décembre 1865 à Bombay, et ses parents le confient à une nourrice indigène qui le bercera de récits fantastiques, peuplés de dieux innombrables et d'animaux fabuleux. De son enfance indienne, le futur écrivain retirera également une véritable allergie à la mentalité monothéiste, et plus particulièrement à son expression judéo-chrétienne. 

    Lorsque ses parents l'enverront en Angleterre parfaire son éducation entre les quatre murs d'une austère pension, il n'ouvrira jamais la Bible sans un profond sentiment d'ennuie et de dégoût, et, au grand dam de ses éducateurs, il s'amusera à truffer l'histoire sainte d'épisodes féériques empruntés aux récits de sa nourrice indienne. Beaucoup plus tard, il se vengera du catéchisme en racontant à sa manière, c'est-à-dire de la plus malicieuse des façons, l'histoire d'Adam et Eve dans Ennemis l'un de l'autre. Chassés du jardin d'Eden, que sont-ils devenus ? "Ils sont heureux et se sont trouvé un nouveau dieu : petit, rose, tout nu, potelé, souriant..."

    De retour aux Indes, tout juste âgé de seize ans, Rudyard Kipling fait carrière dans le journalisme et publie ses premiers contes. Prodigieux observateur, il laisse des tableaux cocasses et souvent acides de la colonie anglo-indienne, et aussi des peintures émouvantes et fraternelles de la vie de caserne, notamment ces délicieux Trois Troupiers, qui sont comme les "servitudes et grandeurs militaires" de l'époque impériale. 

    Mais Rudyard Kipling est déjà beaucoup plus qu'un journaliste, beaucoup plus que le simple témoin d'une époque, et son imagination fertile ne tarde guère à déboucher sur le fantastique.     

    Les sortilèges de la civilisation indienne et les souvenirs de son enfance nourrissent en effet bon nombre de ses contes, et le fantastique prend souvent chez Kipling le relais de la réalité. C'est ainsi que la belle adaptation cinématographique de John Huston, avec Sean Connery et Michael Caine, a permis la redécouverte de L'Homme qui voulut être roi, cette extraordinaire nouvelle où un sous-officier de la vénérable armée des Indes se voit reconnu comme le descendant d'Alexandre le Grand par une tribu de montagnards afghans. 

    Rudyard Kipling, que l'on avait dépeint comme un esprit positif, avait-il donc un penchant pour le surnaturel ? Le thème de la métempsycose lui a en tout cas inspiré, avec La Plus Belle Histoire du monde, l'un de ses plus purs chefs-d'œuvre. C'est en effet l'histoire d'un petit employé londonien dont les rêves découvrent des vies antérieures, tout à tout galérien grec et marin viking... Le fantastique est présent encore dans L'Homme qui fut, dans l'hallucinant Perturbateur du trafic, et même dans la dernière partie de La Lumière qui s'éteint, l'un de ses romans à la fois les plus célèbres et les plus méconnus.

    Infatigable voyageur, témoin désenchanté du nivellement des civilisations, épouvanté par l'avènement planétaire de l'Américan way of life, cet écrivain qui ne pouvait voir le monde qu'au pluriel se retirera définitivement dans le Sussex à la fin du siècle. Il dira dans un poème : 

    "Dieu donne à tous la terre entière,
    Mais notre cœur étant étroit,
    Il fit pour chacun un endroit,
    Qu'il aime d'un amour plus fier"

    Dans cette retraite, où il continuera de défendre une idée généreuse, sans doute anachronique et profondément féodale de l'Empire. Rudyard Kipling ne cesse pour autant d'écrire,  intarissablement. Son retour en Angleterre n'éteint nullement son inspiration fantastique. Avec Puck, lutin de la colline et Le Retour de Puck, le conteur plonge son âme vagabonde dans le folklore païen de sa verdoyante patrie et ressuscite, avec une verve incomparable, tout un peuple de héros, de génies et de dieux. Thor brandit à nouveau son marteau légendaire dans les nuits de solstice, et l'on voit même revenir au printemps le mystérieux "bonhomme vert" l'une des figures mythiques les plus spécifiques des traditions populaires anglo-saxonne, et dont le plus célèbre avatar historique ne fut autre que l'illustrissime Robin des Bois.   

          Qui sait si, dans les landes du Sussex, Kipling ne retrouvait pas un univers féérique, au fond très proche de celui du Pendjab  Entre toutes les cultures de souche indo-européenne, il existe en effet de forts surprenants cousinages...

        Rudyard Kipling est mort le 18 janvier 1936, le même jour que le roi George V. Aux yeux de millions et de millions de lecteurs, le génial conteur demeurera néanmoins avant tout l'auteur du Livre de la jungle et du Second Livre de la jungle. Et ce n'est après tout que justice, car ces merveilleuses histoires de la forêt, assez scandaleusement trahies, soit dit en passant, par Walt Disney, sont en définitive comme le sommet d'une veine fantastique qui puise dans le patrimoine mythique de l'humanité pour fertiliser la fantaisie la plus subtile et la plus charmante, et illustrer la morale la plus noble et la plus exigeante. 

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :