• Sur les quais du Danube, une fille de petite vertu, Leocadie, se vend pour trois sous à un militaire qui rentre au quartier ; peu après, le soldat rencontre à un bal populaire, au Prater, Marie, une femme de chambre peu farouche ; retour chez ses maîtres, Marie cède à Alfred, le fils de la maison qui n'attendait que cela ; à son tour, Alfred convainc Emma, une jeune femme mariée, de commettre avec lui son premier adultère ; la cinquième scène met aux prises Emma et Charles qui joue la comédie de l'amour conjugal ; Charles, son mari, ne tarde pas à tromper son épouse avec une grisette qu'il veut installer dans ses meubles ; celle-ci se donne à un homme de lettre, fort vaniteux, Robert, qui entame avec l'actrice, interprète de sa pièce, une liaison fugace ; l'actrice succombe au charme d'un comte qui passe la nuit chez la prostituée du début, Leocadie. 

    Ces scènes s'enchaînent rapidement au rythme d'une valse sans fin et n'engendre aucune monotonie.

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    D'une redoutable simplicité, l'argument de la pièce, porteur d'une forte charge explosive, provoque le scandale lors de la première à Berlin, comme Vienne. Dix courts dialogues mettent en scène un homme et une femme avant, pendant et après l'acte d'amour. Débutant par les relations d'une prostituée et d'un soldat, s'achevant sur la brève rencontre de la même prostituée et d'un aristocrate, La Ronde dévoile sans fard les tares des personnages qui, toutes classes confondues, n'ont en commun qu'un seul dessein : l'accomplissement de leur désir. La bourgeoisie viennoise ne put admettre de voir ainsi ses propre attitudes calquées sur celle du vulgaire. A Berlin, la presse et les conservateurs se déchaînent ; il y a procès. On accuse l'auteur d’obscénité, et l'on taxe La Ronde de "pièce ordurière juive". A Vienne, même réactions. Révolté par l'hypocrisie de ses concitoyens, Schnitzler retire lui-même sa pièce en interdisant qu'on la joue pendant vingt-cinq ans.

    L'auteur veut surtout mettre en place quelques "instants" choisis, quelques "états d'âme". D'ailleurs les meilleurs pièces de Schnitzler ne sont pas les pièces longues où il peint la société viennoise, ni les pièces à problèmes, ce sont des esquisses rapides. Ainsi sa première oeuvre Anatol, une série de sketches dont le héros est l'héritier des "blasés" romantiques. La même technique se retrouve dans la célèbre Ronde qui, en dix brefs dialogues, dénoncent le mensonge de la vie, mènent leur vie sciemment comme on joue un rôle. 

    Arthur Schnitzler attendit plus de vingt ans pour livrer La Ronde au public, supprimant toutefois le mot "d'amour" du titre par crainte de choquer. Il avait conscience d'avoir jeté sur ses concitoyens le regard aigu du médecin, d'avoir analysé en écrivant, l'inconscient que, dans ce même temps, et d'objet du même refus. 

     

     


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  • Antonin Artaud - Le Théâtre et son double

    Le théâtre occidental est depuis longtemps dans une période de décadence. Coupé du monde, relégué dans de tristes salles, affichant systématiquement les valeurs de l'esprit bourgeois, un individualisme et une psychologie ternes, des dialogues envahissants qui dispensent de mise en scène et d'imagination, le théâtre ne remplit plus son rôle dans une société trop soucieuse de "culture". Des initiatives personnelles doivent rompre cette monotonie et retrouver une entente avec le public.  

    Ainsi, à l'instar du théâtre oriental, il est nécessaire d'utiliser tous les moyens propres à toucher l'imagination, la musique comme les éclairages, les accessoires comme le décor, la voix comme la gestuelle. il faut leur rendre des significations et des conventions, qui seules permettent l'accès à des notions communes abstraites, spirituelles ou métaphysiques. Mais redonner vie à un théâtre d'action ne se fera pas sans une certaine violence : Artaud évoque même un "théâtre de cruauté".

    La vie et le théâtre se distinguent dans la cruauté. Artaud rappelle le spectacle de la grande peste de Marseille en 1720. Son apparition n'était pas fortuite dans une société déjà atteinte, malade : elle provoque impitoyablement les mêmes malaises dans le corps physique et dans le corps sociale. La forme corporelle, l'existence d'un individu sont, elles-mêmes, le théâtre d'un ensemble de forces qui régit la société. Le corps humain, jusque dans sa perte, se trouve être comme le double d'une réalité peu perceptible : il reproduit le comportement du corps social. Ainsi, le théâtre ne peut pas être coupé de la société, puisque sa place est au cœur même de la théâtralisation (son double) qu'est la société elle-même.

    On s'aperçoit finalement en lisant Le Théâtre et son double, que ce débat mené par Artaud à propos du théâtre pendant des années recouvre un débat plus profond : celui de la culture, dans ses rapports avec la vie. Il ne sert qu'à dénoncer le malaise de la civilisation : "une rupture entre les choses et les paroles, les idées, les signes qui en sont la représentation. 

     


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  • Pasteur noir d'un petit village d'Afrique du Sud, sans nouvelles des siens depuis qu'ils ont quitté leur village natal pour Johannesburg, Koumalo part à leur recherche. C'est là qu'il prend conscience de la dure réalité de l'apartheid, dans cette ville où son peuple, exploité et opprimé par la minorité blanche, sombre dans la déchéance et la criminalité. Sa sœur, Gertrude, qui vit à la limite de la prostitution, se livre à des trafics d'alcool. Son frère, qui était menuisier, est devenu un homme politique important, mais que le pouvoir a corrompu. Enfin, à force de pénibles recherches, il retrouve son fils, inculpé pour un meurtre commis lors d'un cambriolage. L'exécution étant imminente, Koumalo, brisé, retourne au village, accompagné seulement de son neveu et de sa belle-fille. Fort de son expérience, il mettra tout en oeuvre pour faire renaître le village et préserver les coutumes de sa tribu.

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    Pleure, ô pays bien-aimé est un hymne d'amour lancé à l'Afrique du Sud, pays où se déchirent deux races, deux cultures. A travers le témoignage de ce vieux pasteur noir, Paton expose avec objectivité tous les aspects de la ségrégation raciale. La découverte des richesses minérales en Afrique du Sud, l'industrialisation du pays et la construction de grandes villes, comme Johannesburg, ont provoqué, en même temps que l'exode rural, l'éclatement des coutumes et des tribus. Plein d'espoir devant l'essor économique de son pays, fasciné par la culture européenne, le peuple noir s'est vu en fait privé de ses biens, exploité, opprimé. En ce sens, Absalon,fils de Koumalo, est représentatif de ce peuple. Dépossédé de sa culture ancestrale, exclu d'une société instaurée par et pour la minorité blanche, seule la délinquance peut-être une issue pour lui.

    Pleure, ô pays bien-aimé obtint un immense succès dans le monde entier et devint, en peu de temps, une manière de Case de l'Oncle Tom. Ecrit dans une langue poétique, le livre touche par sa simplicité, son pouvoir d'émotion, sa sentimentalité qui, inadmissible chez des Européens, correspond cependant très bien au monde noir décrit.   

        Extrait :

    " Pleure, ô pays bien-aimé, sur l’enfant qui n’est pas encore né et qui héritera de notre peur. Puisse-t-il ne pas aimer trop profondément cette terre. Puisse-t-il ne pas rire avec trop de joie lorsque l’eau coulera entre ses doigts, ne pas se taire trop gravement lorsque le couchant fera flamboyer le veld. Puisse-t-il ne pas être trop ému lorsque les oiseaux de son pays chanteront, ne pas donner trop de son cœur à une montagne, à une vallée. Car s’il donne trop, la peur lui prendra tout. »

     

     

      


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  • L'action se déroule à Hunebourg, un village alsacien. Fritz Kobus est un célibataire endurci, devenu riche à la mort de son père, un notable du village. Bon vivant, généreux, il se consacre à bien gérer ses affaires et ne pense qu'à " fumer des pipes, vider des chopes et d'être l'homme le plus heureux du monde ". Quand le vieux rabbin Sichel l'engage à prendre femme, il refuse, comme il a refuser auparavant d'innombrable propositions de mariage. Il va même jusqu'à parier avec lui trois arpents de vigne qu'il ne se marierait jamais. 

    Un jour pourtant, Fritz est charmé par une jeune fermière de seize ans, Suzel. Ses sentiments pour elle croissent peu à peu, et il finit par s'avouer qu'il est amoureux. Il garde toujours sa passion secrète par peur des moqueries. Son cœur se brise lorsqu’il apprend que Suzel est demandée en mariage par un autre garçon. Renonçant à son illusoire liberté, il s'empresse de déclarer son amour à Suzel...

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     Erckmann-Chatrian est le nom composé de deux romanciers français : Emile Erckmann et Alexandre Chatrian. Originaire d’Alsace, ils écrivent en collaboration un grand nombre de romans, très populaires sous le Second Empire et la IIIe République, qui dépeignent pour la plupart la vie rustique et les gens du peuple de leur patrie. Alors que les Contes et romans populaires, dont fait partie L'Ami Fritz, évoquent, dans un style naïf et réaliste, le folklore et les communautés juives d'Alsace, les Romans nationaux célèbrent le patriotisme français et l'éternel conflit qui se noue à la frontière franco-allemande, notamment à travers des récits des guerres napoléoniennes. Ils ont également écrit des Contes fantastiques, qui rappellent par leur ambiance les contes de l'écrivain E.T.A Hoffmann.      

    Car le génie d'Erckmann-Chatrian, c'est qu'on ne puisse pas une seconde douter de leur vérité. C'est à travers la probité, la conviction et le scrupule, d'avoir brusquement dépassé la simple honnêteté littéraire pour devenir de prodigieux " visionnaire du réel ". Erckmann-Chatrian voyagent en arrière tout à leur aise. Lamartine, né trente ans avant eux jugeait leurs livres "miraculeux", et s'étonnait que "ces jeunes gens...aient pu avoir à distance une connaissance si complète et si précise, et pour tout dire l'impression photographiée toute vivante d'un souvenir personnel de ces événements. 

    Erckmann-Chatrian sont des humanistes. Leur message nous frappe encore aujourd'hui par sa modernité : la paix et le respect des individus. Le héros cher à Erckmann-Chatrian s'impose par son honnêteté, son indépendance, son travail et son respect d'autrui. Il croit en Dieu, mais sans excès ni bigoterie, méfiant à l'égard d'une Eglise qui prit sa part dans les abus du régime féodal. Ainsi se fonde une morale laïque et républicaine qui triomphe en France en cette fin de XIXe siècle.     

      


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  • Dans une métropole égyptienne, Gohar, un éminent professeur d'université, a rompu avec la civilisation et les valeurs occidentales, qu'il rejette comme une vaste imposture. Pour trouver la paix, il s"est retiré parmi les mendiants de la ville ; là, entouré d'amis et disciples, il mène la vie simple d'un sage, savourant chaque jour la sérénité de l'esprit grâce au haschisch. Un jour, alors qu'il est en quête de cet indispensable complément, il tue, dans un moment d'égarement, une jeune prostituée et lui vole ses bracelets, qu'il sait pourtant dépourvus de valeur.

    Ce qu'il considère rapidement comme "un accident regrettable", une petite "catastrophe naturelle", demeure objectivement une énigme qui stimule la sagacité du policier Nour Et Dine, ravi d'être enfin chargé d'une affaire à la mesure de son intelligence. Selon celui-ci, en effet, ce meurtre apparemment dénué de tout mobile ne peut avoir été commis que par un esprit supérieur.

    Cependant, l'absence de tout sentiment de culpabilité chez l'assassin finit par remettre en question les principes mêmes qui justifient son enquête. Nouveau disciple de Gohar, le policier découvre à son tour la vie bienheureuse des mendiants.

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    Plus évocateur qu'un conte philosophique, plus convainquant qu'un recueil d'aphorisme, ce roman pose avec humour la plus essentielle des questions : quel est le chemin du bonheur ? La confrontation du policier et de l'assassin, suivie par le renversement final du rapport de forces, illustre la supériorité de la réponse orientale de Gohar sur une philosophie d'inspiration occidentale obsédée par la faute originelle et la logique du sentiment. Incarnée par Nour El Dine, cette dernière condamne le bonheur à n'être qu'un ailleurs : paradis perdu ou inaccessible utopie. Le dénuement absolu du mendiant ramène à la source de toute valeur  : " La vie dans ce qu'elle a de plus authentique ", et le fait riche d'une sagesse dont Cossery dessine, dans ce livre, le visage souriant. 

     

     

     


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