• Lorsque Cyrano de Bergerac arriva sur la Lune, on le prit pour un singe, et il déclencha de telles controverses que la population se partagea en deux camps, les anti- et les pro-Cyrano. Heureusement, un habitant , qui se disait le fantôme de Socrate, prit sa défense, et notre voyageur put observer tout à loisir cet autre monde. Engagé dans cette aventure pour prouver ses dires - à savoir que la Lune était habitée - Cyrano s'était fait empoter dans les airs par des fioles de rosée attachées à sa ceinture et attirées par la chaleur du Soleil levant.

    Sur la Lune, il découvrit un autre univers et d'autres manières de vivre. Les villes étaient soit sédentaires soit mobiles. Les premières étaient faites de maisons traversées verticalement par des vis géantes, qui permettaient de tourner l'édifice sur lui-même, de l'élever ou de l'enfoncer dans le sol selon les saisons.

    Dans les deuxièmes, les maisons étaient sur des roues et se déplaçaient grâce à des voiles gonflées par des soufflets. On s'éclairait à l'aide de vers luisants ou de "flambeaux incombustibles". des rayons de Soleil "purgés de leur chaleur". Grace à une arme spéciale, les alouettes tombaient toutes rôties dans votre assiette. 

    Dans le domaine social, les habitants de la Lune n'avaient rien à envier aux terriens. Ainsi, quand il s'agissait de faire la guerre, on choisissait un nombre égal d'hommes semblables dans chaque camps. Après la bataille, on comptait les blessés, les morts et les prisonniers ; et si les pertes étaient égales, on tirait le vainqueur à la courte paille. Sur la Lune, les vieillards, lorsqu'ils entaient leur esprit se "ramollir", se suicidaient avec l'aide de leur amis réunis lors d'un dernier banquet.

    On l'aura compris, ces "Histoires", dans l'esprit de l'Utopie de Thomas More, mêlent aventures et philosophie, poésie et satire. Par son imagination délirante, Cyrano se fait visionnaire, tout en se moquant de l'homme qui se croit le centre et le maitre de l'univers, alors que la planète est toute petites, comme son esprit.

    Cyrano de Bergerac, écrivit ses Histoires comiques probablement à la fin des années 1640, à une époque où les sujets astronomiques passionnaient les savants et les intellectuels. Il semble même que c'est suite à une discussion avec des amis, alors qu'ils devisaient en admirant la Lune, que Cyrano déclara : "Je crois que la Lune est un monde comme celui-ci, auquel le nôtre sert de Lune." On se moqua évidemment de lui, et il ajouta : "Peut-être se moque-t-on maintenant dans la Lune de quelque autre soutient que ce globe-ci est un monde." Pour prouver ses dires, Cyrano entreprit d'écrire ce livre, après avoir "fait le voyage".

    Savinien de Cyrano de Bergerac écrivit d'abord des pièces de théâtre, parmi lesquelles "Le Pédant joué", dont Molière s'inspira pour deux scènes des "Fourberies de Scapin". Il a laissé l'image d'un érudit brillant et fantasque, épicurien et visionnaire, très attaché à défendre les libertés. C'est évidemment ce personnage hors du commun qu'Edmond Rostand s'est inspiré pour écrire son chef-d'oeuvre. 

      

     

     

     

     

     


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  • Marius, fils de César, aime Fanny, la jolie marchande de coquillages, fille d'Honorine, une veuve joyeuse. Il est destiné à succéder à son père, derrière le comptoir du bar de la Marine, situé sur le Vieux-Port, à Marseille. Chaque jour, Marius aide son père, mais sans grand enthousiasme. Son attention est en effet sans cesse détournée par le son qu'émettent les sirènes des bateaux au départ. C'est l'appel de la mer qui se fait entendre. Après bien des hésitations et des rougissement, Marius se déclare enfin à Fanny, par ailleurs courtisée par nombres de personnages. Il paraît prêt à renoncer à ses rêves les plus chers. Mais Fanny mesure parfaitement le prix de son sacrifice et pousse généreusement Marius à s'embarquer à bord de la "Malaisie". César et Honorine s'apprêtent à sceller l'alliance de leur enfants quand hurle la sirène du bateau en partance...

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    Publiée pour la première fois en 1929, cette pièce en quatre actes fait partie de la trilogie "marseillaise" dont les deux autres volets sont Fanny et César. A cette date, Marcel Pagnol a déjà remporté un vif succès avec Topaze, applaudi en 1928. Pagnol révèle avec cette pièce sa maîtrise de l'art théâtral. D'une situation simple, il parvient à tirer une pièce jouant les ressorts de l'émotion et du suspense. 

    C'est par ailleurs à chaque fois l'occasion pour lui d’exercer ses talents de peintre de caractères. Outre les personnages principaux, en effet, c'est une véritable galerie de personnage joviaux et mélancoliques qui peuplent ses pièces : Escartefigue, Panisse et les autres contribuent à colorer cette image de la Provence aux parfums d'anisette et d’aïoli. Admirablement composé, Marius est demeuré célèbre pour nombre de ses scènes, dont la partie de cartes, qui sont autant de morceaux lumineux dans cet ensemble tour à tour drôle et bouleversant. 

    Avec Marius, Marcel Pagnol renouvelle, avec beaucoup de finesse et d'habilité, le thème éternel de l'homme écartelé entre deux désirs également puissants et contradictoires : l'attachement à ses racines et la soif d'aventure. 

    L'émotion un peu facile, mais contagieuse, qui se dégage de la célèbre trilogie Marius, Fanny et César repose en partie sur l'habilité à ménager le suspense, à partir d'une situation de vaudeville, voire de roman-photo : un veuf (César), une pulpeuse poissonnière (Honorine), la petite marchande de coquillages (Fanny), le turbulent jeune premier...

    Après le succès de Marius au théâtre, Marcel Pagnol en porta lui-même le scénario à l'écran. En 1931 sortait le film, interprété par Pierre Fresney dans le rôle de Marius et Raimu dans celui de César. Un autre chef-d'oeuvre !   

     

     

     

     

     


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  • Dans la petite société de Guernesey, Gilliatt a mauvaise réputation. Venu d'on ne sait où, né d'on ne sait qui, ce marin taciturne et solitaire est suspecté par tous d'être un sorcier. Peu soucieux des commérages, il apprécie sa solitude, jusqu'au jour où il se prend d'amour pour la jolie Déruchette, fille du célèbre Lethierry, personnalité la plus en vue de Guernesey. Ce vieux loup des mers a introduit dans cette île craintive et superstitieuse le bateau à vapeur. Son navire, la Durande, fait naufrage. Désespéré et ruiné, Lethierry promet la main de Déruchette à qui accomplira cet exploit extraordinaire : sauver la machine de la Durande, qui est restée intacte, arrimée à l'un des écueils les plus dangereux de la région.

    Gilliatt, sans hésité, relève le défi. S'engage alors un terrible combat entre ce Robinson guernesiais et tous les périls de l'Océan : tempêtes, marées, monstres marins, fatigue, faim et soif. Lorsque enfin il revient sur l'île, victorieux, c'est pour découvrir l'amour que Déruchette voue en secret à un autre, le bon pasteur Ebenezer. Pour comble de malheur, Enenezer est l'inconnu auquel Gilliatt, quelques mois auparavant, avait sauvé la vie...

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    Dans les Travailleurs de la mer, Hugo exploite la vogue du roman maritime et régionaliste. Mais, il va bien plus loin : la lutte de Gilliatt contre l'Océan est une métaphore de l'affrontement de la nature par l'homme. L'exploit du héros est une nouvelle manifestation du génie humain, dont Hugo avait déjà donné une définition dans son William Shakespeare. Les Travailleurs de la mer sont aussi un hymne à la gloire de Guernesey. Hugo y vécu en effet ses années d'exil. Il dédie d'ailleurs son livre à cette île : "Je dédie ce livre au rocher d'hospitalité et de liberté, à ce coin de vieille terre normande où vit le noble petit peuple de la mer, à l'île de Guernesey, sévère et douce, mon asile actuel, mon tombeau probable."

     A la publication des Travailleurs de la mer, l'enthousiasme fut unanime : Emile Zola écrira :

    " L'histoire est simple et navrante - je viens de la lire d'une haleine ; il est minuit et je ne quitte mon livre que pour prendre la plume. Tout mon être est violemment secoué par la lecture de ces pages étranges et fortes ; j'entends mieux les sanglots et les rires de mon cœur dan le silence profond où je suis. "

    " Les travailleurs de la mer sont la lutte de l'homme contre les éléments, de même que les Misérables sont la lutte de l'homme contre les lois, de même que Notre-Dame de Paris est la lutte de l'homme contre un dogme. 

    Bernard Jouvin, pourtant peu suspect de bienveillance pour Victor Hugo, célèbre la réussite incontestable de ce roman : 

    " Ce livre étincelant de beautés, est remplit de défauts : qui ne les voit pas ? Ils crèvent les yeux ; il y en a de puérils comme la vanité du poète, il y en a de gigantesque comme son génie ; et il faut savoir faire grâce à l'une en faveur de l'autre ! Critiquer ce livre, je le pourrais, je le devrais peut-être ; mais si près de l'émotion qu'il m'a causé et qui dure encore, ce serait plus que de la cruauté, ce serait de l'ingratitude. " 

     

     


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  • Le journal d'un curé de campagne nous fait pénétrer dans l'univers quotidien d'un jeune prêtre issu d'une famille pauvre, nommé curé d'Ambricourt. Il souffre d'une très grande solitude : le curé de Torcy, tout proche, à la rondeur bourrue, paternel, le conseille. En ducateur, il lui fait part de son expérience. Mais c'est son journal que le curé d'Ambricourt confie ses plus grandes souffrances et ses joies les plus intimes ; malade, il ne peut se nourrir que de pain et de vin ; humble, il écoute ses supérieurs et parle peu. Au château où il est souvent convié, il a un rôle de consolateur ; le comte est infidèle, et la comtesse pleure un fils mort ; elle cache son affliction sous une grande méchanceté. En exorcisant sa douleur, il tente de la conduire vers la rédemption. Il rapporte aussi dans son journal ses difficulté à prier tout en disant : " Je n'oserai jamais écrire ce que je ne confie pas au Bon Dieu presque chaque matin sans honte. "

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    Satan recherche comme proies ceux qui sont aveugles devant les puissances du mal. Aussi, tous les héros de Bernanos, comme le curé d'Ambricourt, accueillent-ils en eux la souffrance et les péchés du monde : la maladie est le signe visible que le mal est porté. Elle conduit plus avant sur le chemin de la sainteté. L'être le plus cher au cœur de Dieu est celui qu'incarne je jeune curé : m'être déconcertant de simplicité qui n'a de cesse d'endosser le mal, le sien, celui des autres, celui du monde. L'humilité, la pauvreté et la faiblesse sont élevées au rang de valeurs sacrées ; elles deviennent, avec l'espérance, la foi et la charité, les principales vertus théologales.

    L'essentiel est ainsi de garder l'esprit d'enfance, de fuir la médiocrité ; c'est l'enseignement du jeune curé. La prière est source et aboutissement de sa vocation ; c'est elle qui permet de sauver ce qui était perdu, de recouvrer la grâce, de se fondre dans ce que Bernanos appelle "la communion des pécheurs" qui visent à la communion des saints.

    Bernnos a vécu une époque (les deux guerres mondiales) où le mal sous toutes ses formes a cruellement frappé les hommes. Dans le Journal d'un curé de campagne, il représente le mal comme un monstre gluant qui aspire l'homme vers le vide, comme un cancer qui mange les forces de vies. C'est ce mal que combat le curé d'Ambricourt, qui souffre du silence de Dieu : il réussi pourtant à y faire face, à dominer la maladie qui le ronge. Il arrive à vaincre l'incompréhension du village, la méfiance de mademoiselle Louise, institutrice au château, et les mauvais coups de Séraphita, l'élève espiègle et insolente du catéchisme. Il parvient à briser le mensonge et la haine de la comtesse envers sa fille. C'est grâce à son humilité, qui lui donne une grande lucidité. 

      


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  • Les Entretiens sur la pluralité des mondes, publiés en 1686, apportèrent la consécration à Fontenelle, lui ouvrant notamment les portes de l'académie des Sciences. L'ouvrage est divisé en cinq entretiens, ou "Soirs", puisque l'auteur imagine qu'ils eurent lieu la nuit, chez une marquise dont il était l'hôte. Alors qu'il se promenait avec elle dans un parc, au détour d'un chemin, la conversation dériva sur les astres, le ciel, les corps célestes. L’intérêt de l'ouvrage vient d'abord du fait qu'il est une excellente vulgarisation scientifique ; de façon simple et claire, Fontenelle explique le système solaire d'après la révolution copernicienne et le mouvement des astres selon la philosophie cartésienne. Logique avec lui-même, il écrivit l'ouvrage en français, alors que, jusque-là, les questions de philosophie était traditionnellement débattues en latin ; il estimait que ce chois ne pouvait être que profitable aux érudits comme aux ignorants. A cette époque, le monde des savants était peut-être acquis à l'héliocentrisme, mais le grand public était encore loin d'en être persuadé.

     Fontenelle aborde le thème de la pluralité des mondes de façon scientifique. Il ne s'agit donc pas pour lui de faire un voyage dans un autre monde, comme Cyrano de Bergerac, pour regarder le nôtre de façon critique. Non, Fontenelle examine très sérieusement la probabilité de la vie et de la pensée sur d'autres planètes. Si cette probabilité se vérifiait, elle aurait évidemment des conséquences philosophiques, et c'est là l'autre intérêt de l'ouvrage. Mélangeant habilement et sur un ton plaisant, parfois avec humour, les faits scientifiques et les explications philosophiques, Fontenelle propose à son interlocutrice, et au lecteur, une réflexion sur le monde, éclairée du jour nouveau de la science. Ainsi, l'abandon des idée de Ptolémée (la Terre au centre de l'univers) oblige l'homme à ne plus se considérer comme le centre de l'univers et à observer un relativisme prudent. Tandis que l'explication des mystères de la nature remet en question le sentiment religieux.  

    "Les Entretiens sur la pluralité des mondes sont un des livres les plus important de l'époque. En eu convergent bien des courants du XVIIe siècle, tant dans la pensée que dans l'art littéraire. Ils sont d'autre part à l'origine de bien des traits caractéristiques du XVIIIe siècle... S'ils ont perdu leur valeur de manuel d'astronomie, ils restent un chef d'oeuvre littéraire de premier plan... C'est par le style que ces Entretiens nous charment. Nous prenons plaisir à cette conversation élégante, à ces évocations sans cesse renouvelées, à cette curiosité sans cesse en éveil, à tant de rapprochement piquants et enfin à ces images ingénieuses mais d'une simplicité éloquente. On peut être plus savant que Fontenelle, mais on ne saurait le dépasser dans l'art de bien dire et de faire comprendre. " (A. Calame - Introduction aux Entretiens sur la pluralité des mondes) 

     

     

     


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