• Don Sallustre, exilé par la reine d'Espagne pour avoir séduit et refusé d'épouser une suivante, ne songe qu'à se venger. Ayant surpris l'amour que porte son laquais, Ruy Blas, à a reine, il décide de le faire passer pour son cousin, don César de Bazan, et de l'introduire à la cour. Ruy Blas, gagnant les faveurs de la reine, gravit très rapidement les échelons, devenant premier ministre, mais surtout amant de cette dernière. Tout d'abord ravi parle bon déroulement de son plan, don Salluste déchante vite lorsqu'il s'aperçoit que Ruy Blas, s'employant aux affaires de l'Etat, se prend à son personnage et acquiert de ce fait une grande popularité. Il intervient alors, se servant du nom de don César pour donner rendez-vous à la reine, à qui il dévoile toute l'intrigue, la sommant d'abdiquer et de partir avec don César. Cependant ce dernier révèle sa véritable identité à l'instant où la reine va signer...    

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    Ruy Blas est une œuvre remarquable, même si l'action est pour le moins invraisemblable. Seul drame de Victor Hugo, avec Hermani, Ruy Blas doit son succès à son style éclatant. Hugo, qui revient au vers après avoir écrit trois drames en prose, impose dans cette pièce sa conception de la dramaturgie où il prônait un "vers libre, franc, loyal, osant tout dire sans pruderie". Dans cette pièce révolutionnaire par son sujet, Hugo est fidèle à ses ambitions de dramaturge. Il veut un théâtre populaire, humain, naturel. Le valet, ainsi revêtu des habits du maitre, triomphe à la cours, bafouant et ridiculisant la hiérarchie, proclamant la victoire du peuple.   

     La préface de Ruy Blas définit le drame par sa capacité à satisfaire ensemble trois sortes de public : 

    " Trois espèces de spectateurs composent ce qu'on est convenu d'appeler le public : premièrement les femmes ; deuxièmement, les penseurs ; troisièmement, la foule proprement dite. Ce que la foule demande presque exclusivement à l'œuvre dramatique, c'est l'action ; ce que les femmes y veulent avant tout, c'est la passion ; ce qu'y cherchent plus spécialement les penseurs, ce sont les caractères." 


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  • Un livre consacré à l'origine des espèces, problème à priori biologique, a-t-il sa place dans la littérature ? Oui, parce qu'en transformant la notion d'espèce, Darwin a aussi modifié la notion de l'homme, et qu'ainsi il a fait œuvre de philosophie. Oui encore, si l'on considère que la littérature est aussi, à côté des finalités esthétiques, le véhicule de la pensée ou du génie d'un homme. De l'Origine des espèces (1859) entre parfaitement dans le cadre de ces deux définitions, comme le prouvent les réactions qu'il suscita lors de sa parution. Il provoqua évidement un tollé de la part des Eglises, puisque le darwinisme présuppose un univers sans origine ni finalité supérieures, donc mécaniste. Et, à une époque où le positivisme avait de nombreux adeptes, il fut accueilli avec enthousiasme par les milieux acquis aux idées du transformisme. Celles-ci n'étaient pas nouvelles : Buffon et Lamarck, notamment, avaient déjà soutenu l'idée de l'évolutionnisme : les espèces se transforment pour donner des espèces nouvelles. Mais Cuvier était passé par là, et sa théorie de la fixité des espèces avait donné un coup d'arrêt au transformisme.

    Avec De l'Origine des espèces, Darwin expose avec clarté et simplicité sa théorie dite de la "sélection naturelle". La force de sa théorie fut de partir d'observations faites sur le terrains, et non plus seulement d'hypothèses. Sa constatation de départ est simple : par la sélection, les horticulteurs et les éleveurs, à partir d'espèces existantes, réussissent à créer de nouvelles espèces. Il "suffit" donc, à partir de cette donnée, de démontrer que le même phénomène se produit dans la nature. S'appuyant sur l'idée de Malthus (Essai sur le principe de population) selon laquelle les populations croissent plus vite que les ressources alimentaires et sur le fait que, dans la nature, le nombre de germes produits est nettement supérieur au nombre de germes qui arrivent à maturité, il en conclut que la mort a un rôle de sélection. La lutte pour la vie sélectionne les plus forts ; et cette sélection naturelle, surtout chez les individus ayant une particularité morphologique ou physiologique, donne naissance à de nouvelles espèces.

    Darwin  créé une nouvelle science et une nouvelle philosophie et jamais on a vu un exemple aussi complet d'une nouvelle branche de la connaissance humaine qui soit redevable aux travaux et aux recherches d'un seul homme. 

    C'est Darwin qui fait la première tentative, tentative grandiose et qui devait avoir des répercussions innombrables, d'intégrer l'homme dans la nature, de le considérer non plus comme une abstraction ou comme un être à part se prêtant à toutes les définitions, mais comme un des chaînons du monde vivant en général rattaché par mille liens et rapports non seulement à celui-ci, mais aussi au monde inorganique, au milieu physique qui l'entoure.           


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  • Dai Sijie

    En Chine, en 1971, deux adolescents, le narrateur de 18 ans et son ami Luo 17 ans,  sont renvoyés en rééducation dans un minuscule village sur la montagne du Phénix du Ciel dans la province du Sichuan. Leur seul tord est d'être issus d'un milieu intellectuel, avec des parents médecins ou dentistes que le régime communiste soupçonne d'être des graines de réactionnaires. Le président Mao a fait fermer les universités et bannir la plupart des livres. On place alors les jeunes dans un cadre de vie très défavorisé, où ils doivent accomplir des tâches éreintantes, afin de sensibiliser les élites intellectuelles du pays aux conditions de vie réelles des plus pauvres...

    Ils se lient d'amitié avec une tailleuse chinoise. Dans ce village, il y a aussi un autre jeune dans leur situation, le Binochard, qui possède en secret des livres, interdits par le régime, dans une valise. Il en prêtera un à ses deux amis pour service rendu : un Balzac "Ursule Mirouët". Les deux amis et la petite tailleuse vont découvrir les plaisirs de la lecture. Balzac bien sur mais aussi Hugo, Stendhal, Dumas et bien d'autres.

    Un conte à la fois très réaliste, cocasse, merveilleux et poétique qui montre la puissance de la culture et du savoir. Face à l'ignorance au pouvoir avec son insupportable oppression, la culture est l'indispensable outil de la liberté. Elle nous montre comment la littérature se moque des frontières et comment un livre de Balzac ou d'Alexandre Dumas passionne tout autant une petite paysanne chinoise sous la dictature de Mao qu'un occidental cultivé.    

     Longtemps, le roman est resté inaccessible pour les lecteurs chinois et Dai Sijie le regrettait régulièrement dans ses interviews. Les autorités chinoises n'appréciaient pas, semble-t-il, la peinture de la paysannerie chinoise dans sa misère physique et intellectuelle, ni celle de la violence de la rééducation des années Mao. 

    Quand on lit la biographie de Dai Sijie après la lecture du roman, on comprend facilement que l'auteur s'est largement inspiré de son histoire personnelle pour écrire ce livre. Même si on comprend assez tôt que c'est une fiction, on ne peut s'empêcher de voir la pensée de l'auteur derrière chaque description de paysage ou de travail harassant que doivent faire les jeunes. La fiction se rapproche de la réalité.

    Un croisement entre le récit réel de la vie de l'auteur et le récit fictif explorant une expérience vécue par celui-ci. Une preuve évidente est que l'auteur n'a pas donné de nom au narrateur pour qu'on puisse deviner sa présence derrière ce personnage.   

     


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  • Dorante, un jeune homme qui n'a point de bien, est amoureux de la riche veuve Araminte. Conseillé par son valet Dubois, il se fait engager comme secrétaire par cette femme malgré l'opposition de la mère de celle-ci, Mme Argante. Dubois commence à intriguer auprès d'Araminte en lui recommandant de se débarrasser de Dorante, follement amoureux d'elle. Araminte va devoir lutter contre sa compassion pour Dorante qui, à son insu se transforme en amour, et ses intérêts qui l'invitent à suivre l'avis de sa mère. 

    Un portrait d'Araminte, mis exprès chez Dorante et prétendument découvert par Dubois, instruit tout le monde de l'amour de Dorante. Araminte se plaint à Dubois de son zèle mais est obligée de prendre une décision, car elle ne peut garder un secrétaire amoureux. Pressés par ces circonstances artificiellement créées, irritée des instances de sa mère, qui envisageait pour elle un mariage brillant, elle se décide à "faire la fortune" de Dorante en l'épousant malgré leur différence sociale.

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    Cette pièce très subtile offre deux intérêts majeurs : le premier ressortit au thème si souvent traité de la "surprise de l'amour". On suit, pas à pas, l'évolution de la jeune veuve Araminte, que Dubois oblige quasiment à tomber amoureuse. Le rôle de Dubois est loin d'être innocent, il use avec jubilation d son intuition psychologique et de son pouvoir de persuasion.

    Sous couvert d'aider Araminte de ses avis, il la pousse par ses "fausses confidences" dans ses derniers retranchements. Dorante, complice de Dubois, pourrait être confondu avec un simple coureur de dot si ses inquiétudes et l'aveu final qu'il fait à Araminte de leur supercherie ne le lavaient de ce soupçon. Le second intérêt de la pièce relève d'une étude des mœurs d'une société en mutation, étude non dénuée d'une certaine satire. 

    Nous sommes chez une femme riche qui envisage de se marier pour éviter un procès. Chacun songe à soi. Marion, la soubrette sacrifiée, doit renoncer avec le sourire à son beau rêve d'épouser Dorante pour ne pas perdre sa place. L'intérêt personnel régit tous les actes.     

    Marivaux a presque toujours écrit pour le théâtre-Italien. Il sut ainsi redonner à cette troupe qui lui plaisait un éclat qu'elle avait perdu au début du siècle. Pour le lecteur du XXe siècle, la troupe des "Italiens" reste indissolublement liée au nom de Marivaux, alors qu'aux yeux des amateurs du XVIIIe siècle, ce théâtre avait un prestige moindre que le Théâtre-Français. 

    Marivaux n'a donc jamais connu de succès brillant de son vivant. Ses contemporains lui reprochaient la monotonie de ses sujets, tel le marquis d'Argens qui remarquait : " Il y a un défaut dans ses pièces, c'est quelles pourraient être presque toutes intitulées La Surprise de l'Amour ", et la trop grande subtilité psychologique que Voltaire raillait en disant qu'il pesait " des œufs de mouche dans des balances de toiles d'araignée. "

    Marivaux a pourtant créé une forme originale d'analyse des rapports amoureux à leurs débuts. La simplicité classique s'offusquait de ce propos, " mélange plus bizarre de métaphysique subtile et de locution triviales, de sentiments alambiqués et de dictons populaires".  

    C'est cette subtilité extrême de la description des premiers émois amoureux qu'on a baptisée "marivaudage". Ce terme, dont la valeur péjorative est destinée à critiquer le maniérisme et l'affectation exagérée de cette analyse, définit le "créneau" étroit auquel Marivaux doit son renom actuel de moraliste et de fin psychologue.  


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  • Né à la fin du XIXe siècle, Iouri Jivago appartient à l'intelligentsia russe. Poète par vocation, il gagne sa vie en tant que médecin. Parallèlement à la jeunesse de Jivago, Pasternak décrit celle de sa future femme, Tonia Groméko. Blessé au front pendant la Première Guerre mondiale, Jivago est soigné par Larissa (Lara) Antipova, à la recherche de son mari disparu, l'instituteur Pavel Antipov. Ensemble, ils assistent avec enthousiasme à la révolution de février 1917. Mais Jivago, peu après, retourne vivre auprès de sa femme Tonia. Cherchant à se protéger du tourbillon révolutionnaire, Jivago et sa famille se rendent dans la propriété familiale de Varykino. Le destin fait qu'il retrouve, dans une ville voisine, Lara. Ils deviennent amants. 

    Un soir, Jivago est enrôlé de force chez les partisans qui lutte contre l'armée blanche et qui sont commandés par un certain Strelnikov, qui n'est autre que Pavel Antipov, le mari disparu de Lara. Après quelques mois passés auprès des partisans, Jivago peut enfin retourner à Moscou. Mais sa famille, accusée d'antisoviétisme, à été expulsée à l'étranger et Jivago est obligé de reprendre son activité de médecin. Il vit avec Marina, la fille de son ancien concierge et meurt d'une crise cardiaque.

    Le docteur Jivago est un roman à la fois historique, politique et philosophique. Pasternak a eu beaucoup de problèmes avec les autorités soviétiques, qui voyaient dans son livre un violent pamphlet anticommuniste. Farouchement individualiste, Pasternak n'a jamais eu l'intention d'écrire une critique du régime, il expose simplement la destinée de plusieurs personnages pris dans la tourmente révolutionnaire. Jivago apparaît comme quelqu'un qui accepte, avec une certaine fatalité, les événements heureux ou tragiques, que lui apporte la vie, car pour lui, toute expérience est enrichissante et profitable. Jivago voue un véritable culte à la vie, qu'il sert en tant que médecin et dont il essaie de décrire les beautés en tant que poète. Finalement, l'existence de Jivago se réduira à une succession de hasards et de rencontres providentielles. 

     


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