• Robert-Louis Stevenson

    Si Robert Louis Stevenson n'était l'auteur que du seul Docteur Jeckyll et M. Hyde, il n'en serait pas moins universellement connu et reconnu, tant cette œuvre marque un tournant dans la littérature fantastique et de la littérature tout court ; elle eût amplement suffit à lui assurer les faveurs de la postérité.
    Mais Stevenson est aussi l'un des plus grands auteurs de romans d'aventure.

    Bien sûr, l'immortelle et sublime Ile au trésor a, plus que tout autre de ses ouvrages, contribué à la faire mondialement connaître et à populariser son nom auprès des jeunes lecteurs ; cependant, cette œuvre l'a à jamais rangé dans la catégorie des " auteurs pour la jeunesse " aux yeux du public et des universitaires français. Il en va autrement pour le public britannique qui non seulement est friand de livres d'aventures mais les considère comme partie intégrante de la 
    " grande littérature ", tout en leur reconnaissant une fonction pédagogique et initiatique d'éveil au monde.

    Robert Louis Stevenson

    Mais en définitive, est-il si regrettable que cette littérature à l'état pur, cette littérature d'évasion, où triomphent les charmes de l'imagination, soit l'apanage des enfants des adolescents ? Après tout, elle aurait pu tomber en de plus mauvaises mains !

    Né à Édimbourg le 13 novembre 1850 et grand lecteur dès l'enfance, il n'avait d'autre ambition que celle d'écrire.
    De retour en Ecosse après un voyage en France, il ne songea qu'à découvrir le pays de ses ancêtres, et c'est au contact de cette nature pittoresque et sauvage que se développera son goût pour le fantastique.

    Installé en France pour raison de santé, il se réfugia dans la solitude d'une bourgade de la Haute-Loire, Monastier, qu'il ne tarda pas à quitter pour accomplir son fameux Voyage avec un âne dans les Cévennes. Malgré sa maladie, cette période fut très féconde pour l'écrivain qui termina ses Nouvelles Milles et Une Nuits et rédigea La Flèche noire, L'Ile au trésor, Le Prince Otto et le Dynamiteur.

    Robert Louis Stevenson

    En 1886, il publia successivement Docteur Jeckyll et M. Hyde et Enlevé. En 1888, toujours en quête d'observations et de paysages nouveaux, il s'embarque pour Tahiti et ensuite pour les îles Hawaii ou il séjourna au début de 1889, année qui vit également la publication du Maitre de Ballantrae.

    Certaines nouvelles comme Le Diable dans la bouteilleGuillaume au moulinOlallaMarkheim, Le Profanateur de sépultures, divers récits de voyages Dans les Mers du Sud attestent que Docteur Jekyll et M. Hyde n'est pas un phénomène unique dans son œuvre et que Stevenson nourrissait un grand intérêt pour le fantastique et le mystère. Il n'en demeure pas moins que ce texte est comme le souligne Pierre Versins dans son Encyclopédie de l'utopie et de la science-fiction, " l'un de ces rares cas où un thème d'emblée se hausse à une hauteur qui interdit à d'autres d'en refaire usage ".  Remarquons toutefois que Wilde reprit cette idée de la dualité du Bien et du Mal dans son Portrait de Dorian Gray, publié cinq années plus tard, en 1891.

    Robert Louis Stevenson

    Cependant, l'œuvre de Stevenson innove en ce qu'il propose, bien avant l'étude du sujet par les psychiatres et les psychanalystes, l'analyse d'une personnalité multiple, une réflexion sur les découvertes scientifiques et sur leurs effets funestes pour l'homme et une méditation sur le problème du Mal tant dans sa conception dualiste et inséparable de la nature humaine que dans sa relation avec la science et la morale. Eternels problème et contradictions que notre siècle ne veut ni ne parvient à approcher.


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  • Barjavel René - Bio

    Il est vrai que René Barjavel, qui s'inscrit dans la tradition de l'anticipation française à la suite de J.H. Rosny Ainé ou de Maurice Renard, a commencé à publier à une époque délicate. Ravage parait en 1943 : sa problématique rappelle fâcheusement certaines obsessions antimodernes et antiscientifiques des équipes aux commandes de l'Etat français du maréchal Pétain. On en voudra longtemps à René Barjavel, sans remarquer qu'il n'a fait que précéder avec talent la grande vague de science-fiction écologique et anti technologique des années 1970.


    " Les hommes ont libéré des forces terribles que la nature tenait enfermées avec précaution, écrit-il dans Ravage. Il ont cru s'en rendre maîtres. Ils ont nommé cela le progrès, c'est un progrès accéléré vers la mort. Ils emploient pendant quelques temps ces forces pour construire, puis, un beau jour, parce que les hommes sont des hommes, c'est-à-dire des être chez qui le mal domine le bien, parce que le progrès moral de ces hommes est loin d'avoir été aussi rapide que le progrès de la science, ils tournent celle-ci vers la destruction. "

    Barjavel René - Bio


    Dans Ravage, alors que le monde se prépare une nouvelle guerre mondiale, l'électricité disparaît aussi mystérieusement que subitement. La civilisation s'effondre. C'est la révolution. Un groupe de " purs " réussit à quitter Paris et fait route vers le Midi. Leur odyssée s'achève sur un " retour à la terre " ... écologique où une humanité nouvelle se recycle au contact des arbres et des fleurs.

    Toujours en 1943, René Barjavel fait paraître son second roman, Le Voyageur Imprudent, dans une revue : Je suis partout. Le volume sera publié en 1944. On y trouve le fameux paradoxe temporel :


    Il a tué son ancêtre ?
    Donc il n'existe pas.
    Donc il n'a pas tué son ancêtre.
    Donc il existe.
    Donc il a tué son ancêtre.
    Donc il n'existe pas...

    Barjavel René - Bio


    Le héros a inventé un scaphandre qui lui permet de voyager à travers le temps. Il va faire un tour dans le futur : l'humanité y est devenue si spécialisée qu'il y a les " mangeurs " d'un côté et les " buveurs " de l'autre. Il plonge ensuite dans le passé, devant Toulon assiégé par le jeune Bonaparte. Une idée lui vient : " Et si je tuai Bonaparte, que deviendrait l'histoire ? " Seulement, un homme s'interpose et tombe à la place du futur empereur. C'était un ancêtre du héros, qui du coup, se met à ne pas exister...

    Dans le " Diable l'emporte " (1948), René Barjavel raconte l'attente de la troisième et de la quatrième guerre mondiale. Une poignée d'hommes se construisent une arche pour échapper à la destruction et s'enterrent à un bon millier de mètre sous le Sacré-Cœur de Paris. Finalement, tout l'humanité sera détruite, sauf un couple, expédié vers les étoiles en fusée.

    Barjavel René - Bio

     

    La dédicace du " Diable l'emporte " confirme le pessimisme de l'auteur : " A notre grand-père, à notre petit-fils : l'Homme des cavernes " !

    D'autres œuvre, tout aussi bonnes, encore que moins novatrices, suivront : dans le " Journal d'un homme simple " (1951), on trouve un plaidoyer pour les villes souterraines, seules capables de sauver l'humanité de l'holocauste nucléaire. Cette idée sera reprise en 1968 dans " La Nuit des Temps ", la dernière grande œuvre de René Barjavel, qui rappelle un peu
    La Sphère d'or " d'Earl Cox : une expédition scientifique retrouve, dans des couches de glace vieille de 900 000 ans, une sphère d'or qui contient des appareils scientifiques et le corps de deux humains, un homme et une femme, dans une sorte d'état d'hibernation. Le monde se déchirera pour profiter des connaissances de cette civilisation inconnue...


    Journaliste, critique littéraire, essayiste, René Barjavel a presque complètement " lâché" la science-fiction au profit des scénarios et des dialogues pour le cinéma. On lui doit en particulier les dialogues du Petit Monde de Don Camillo. Déception face à l'ostracisme dans lequel il a été tenu par la critique officielle ?

     

    Barjavel René - Bio


    En attendant, c'est le public qui l'a toujours soutenu, qui est déçu de ne plus se laisser entraîner par lui vers des lendemains qui déchantent.
    Il nous a quitté un 24 novembre 1985 à Paris.


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  • Il est des livres qui éclipsent parfois leurs auteurs et, dans le même mouvement, toute leur production littéraire. Le Pont de la rivière Kwaï est de ceux là. 
    Tout le monde connait le roman et le film célèbre de David Lean qui en a été tiré.
    On peut ne pas savoir que son auteur est français et s'appelle Pierre Boulle.
    La Planète des singes est un film mondialement connu tiré aussi d'un roman de Pierre Boulle. Ce dernier n'aurait-il écrit que ces deux romans rendu célèbre par le cinéma ? Que non !

    Il est l'auteur d'une oeuvre riche et diversifiée qui se situe souvent au carrefour de la science-fiction et du fantastique. Une certaine partie de ses livres fait en effet référence à la science, mettant en cause l'esprit scientifique, les progrès de la science ou ses limites.

    Pierre Boulle

    Pierre Boulle sait de quoi il parle. Né à Avignon en 1912, il obtient, à l'issue de ses études, un diplôme d'ingénieur en électricité. Ses textes reposent donc sur des connaissances rigoureuses. Des recueils de nouvelles comme les Contes de l'absurde (1953) et E=MC² (1957) en témoignent largement.
    Leur singularité est de faire intervenir une donnée irrationnelle qui les fait tomber dans le domaine du fantastique.

    Le poids d'un sonnet, tiré des Contes de l'absurde, en est un exemple superbe. 
    Cette nouvelle montre un amateur éclairé qui tente de retrouver un poème sur une feuille carbonisée où il était inscrit, en s'aidant du poids des lettres imprimées. 
    Il y réussira. Ce récit met en jeu la logique la plus rigoureuse et la plus extrême possible, le fantastique naissant de cet excès de rigueur. Les capacités analytiques et déductives d'un individu sont poussées à un point qui les rend presque magiques.
    Et pourtant, seule la raison agit.

    Pierre Boulle

    Ce que Pierre Boulle s'attache aussi à montrer, c'est la faille d'un système posé comme parfait, c'est une science qui ne doute jamais d'elle même et qu'il 
    piège pour montrer comme le passage de rigueur à l'absurde peut-être
    bref et irréversible.

    Ainsi, dans Le Robot parfait, la Compagnie des cerveaux électroniques conçoit-elle un robot qui en vient à être une copie conforme de l'homme. Mais il lui manque quelques choses pour qu'il soit un homme. Un professeur découvrira quoi :
    la possibilité de se tromper. Et il invente un robot qui se trompe.

    Où, dans le règne des sages, deux sociétés scientifiques dont la science tient lie de foi, et qui, faute de s'être concertées en arrivent, lors d'expériences, aux résultats exactement inverses de ce qu'elles souhaitaient.

    Boulle ironise donc sur une science qui a perdu le sens de l'homme, de l'erreur, et se considèrent comme but ultime. C'est aussi l'esprit moderne qu'il stigmatise dans son oubli des valeurs fondamentales qui fondent les sociétés humaines et leur permettent de vivre dans la dignité. Ce n'était pas autre chose  qui était traité dans le roman de guerre Le Pont de la rivière Kwaï.

    Pierre Boulle

    Un monde moderne qui se soumet au règne de la facilité et du confort va voir rejaillir les plus bas instincts des hommes : c'est le thème des jeux de l'esprit, roman dans lequel un Gouvernement scientifique mondial, assoiffé de paix universelle, plonge le monde dans l'ennui et le mène au suicide collectif. Pour échapper à ces effets très néfastes, ce gouvernement en vient à proposer des divertissements de plus en plus barbares.

    Pierre Boulle

    La barbarie naît ainsi du monde de l'électronique et du plaisir, pour avoir oublié l'esprit. C'es aussi l'esprit scientifique borné et dogmatique qui se trouve mis en procès dans la Planète des singes, avec l’orgueil de l'homme, sa faculté d'autodestruction et l'obscurantisme de la religion. 

    Pierre Boulle nous tend, à travers ce roman, un miroir dans lequel il ne fait pas bon se regarder.

    Témoin lucide de son temps, cet esprit libre et ouvert a compris que la science détenait les clés de notre avenir, et, en deçà de la science, l'esprit qui l'anime.
    C'est à cet esprit là qu'il s'adresse. Sans doute ce qu'il dit n'est-il pas nouveau, mais c'est une voix française qui le dit, et avec talent.

    Outre les ouvrages déjà cités, on peut aussi évoquer Le Saint, aux curieux échos métaphysique, et Les Histoires charitables, dans lesquelles le tragique et l'insolite se côtoient. 

    Son dernier roman Le Bon Leviathan, paru en 1981, illustre de façon pertinente, et toujours dans le cadre du fantastique, certaines attitudes contemporaines face à l'atome, la technique et le surnaturel. Il y dégage le caractère infantile et superstitieux des homme de notre temps.

    Pierre Boulle

    Son Gargantua, super pétrolier à propulsion atomique 
    de 600 000 t, après avoir provoqué des réactions de haine et d'hostilité, se voit l'objet d'une vénération aveugle pour avoir été à l'origine - coïncidence ? - d'une guérison miraculeuse. Et la marée noire tant redoutée en vient à sauver ceux qui la craignaient.

    En conclusion : " Le bon Leviathan s'enfonça dans la nuit africaine, pour distribuer les bienfaits de sa marée noire rédemptrice sur une mer de rêve. "


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