• Pierre Boulle*

    Il est des livres qui éclipsent parfois leurs auteurs et, dans le même mouvement, toute leur production littéraire. Le Pont de la rivière Kwaï est de ceux là. 
    Tout le monde connait le roman et le film célèbre de David Lean qui en a été tiré.
    On peut ne pas savoir que son auteur est français et s'appelle Pierre Boulle.
    La Planète des singes est un film mondialement connu tiré aussi d'un roman de Pierre Boulle. Ce dernier n'aurait-il écrit que ces deux romans rendu célèbre par le cinéma ? Que non !

    Il est l'auteur d'une oeuvre riche et diversifiée qui se situe souvent au carrefour de la science-fiction et du fantastique. Une certaine partie de ses livres fait en effet référence à la science, mettant en cause l'esprit scientifique, les progrès de la science ou ses limites.

    Pierre Boulle

    Pierre Boulle sait de quoi il parle. Né à Avignon en 1912, il obtient, à l'issue de ses études, un diplôme d'ingénieur en électricité. Ses textes reposent donc sur des connaissances rigoureuses. Des recueils de nouvelles comme les Contes de l'absurde (1953) et E=MC² (1957) en témoignent largement.
    Leur singularité est de faire intervenir une donnée irrationnelle qui les fait tomber dans le domaine du fantastique.

    Le poids d'un sonnet, tiré des Contes de l'absurde, en est un exemple superbe. 
    Cette nouvelle montre un amateur éclairé qui tente de retrouver un poème sur une feuille carbonisée où il était inscrit, en s'aidant du poids des lettres imprimées. 
    Il y réussira. Ce récit met en jeu la logique la plus rigoureuse et la plus extrême possible, le fantastique naissant de cet excès de rigueur. Les capacités analytiques et déductives d'un individu sont poussées à un point qui les rend presque magiques.
    Et pourtant, seule la raison agit.

    Pierre Boulle

    Ce que Pierre Boulle s'attache aussi à montrer, c'est la faille d'un système posé comme parfait, c'est une science qui ne doute jamais d'elle même et qu'il 
    piège pour montrer comme le passage de rigueur à l'absurde peut-être
    bref et irréversible.

    Ainsi, dans Le Robot parfait, la Compagnie des cerveaux électroniques conçoit-elle un robot qui en vient à être une copie conforme de l'homme. Mais il lui manque quelques choses pour qu'il soit un homme. Un professeur découvrira quoi :
    la possibilité de se tromper. Et il invente un robot qui se trompe.

    Où, dans le règne des sages, deux sociétés scientifiques dont la science tient lie de foi, et qui, faute de s'être concertées en arrivent, lors d'expériences, aux résultats exactement inverses de ce qu'elles souhaitaient.

    Boulle ironise donc sur une science qui a perdu le sens de l'homme, de l'erreur, et se considèrent comme but ultime. C'est aussi l'esprit moderne qu'il stigmatise dans son oubli des valeurs fondamentales qui fondent les sociétés humaines et leur permettent de vivre dans la dignité. Ce n'était pas autre chose  qui était traité dans le roman de guerre Le Pont de la rivière Kwaï.

    Pierre Boulle

    Un monde moderne qui se soumet au règne de la facilité et du confort va voir rejaillir les plus bas instincts des hommes : c'est le thème des jeux de l'esprit, roman dans lequel un Gouvernement scientifique mondial, assoiffé de paix universelle, plonge le monde dans l'ennui et le mène au suicide collectif. Pour échapper à ces effets très néfastes, ce gouvernement en vient à proposer des divertissements de plus en plus barbares.

    Pierre Boulle

    La barbarie naît ainsi du monde de l'électronique et du plaisir, pour avoir oublié l'esprit. C'es aussi l'esprit scientifique borné et dogmatique qui se trouve mis en procès dans la Planète des singes, avec l’orgueil de l'homme, sa faculté d'autodestruction et l'obscurantisme de la religion. 

    Pierre Boulle nous tend, à travers ce roman, un miroir dans lequel il ne fait pas bon se regarder.

    Témoin lucide de son temps, cet esprit libre et ouvert a compris que la science détenait les clés de notre avenir, et, en deçà de la science, l'esprit qui l'anime.
    C'est à cet esprit là qu'il s'adresse. Sans doute ce qu'il dit n'est-il pas nouveau, mais c'est une voix française qui le dit, et avec talent.

    Outre les ouvrages déjà cités, on peut aussi évoquer Le Saint, aux curieux échos métaphysique, et Les Histoires charitables, dans lesquelles le tragique et l'insolite se côtoient. 

    Son dernier roman Le Bon Leviathan, paru en 1981, illustre de façon pertinente, et toujours dans le cadre du fantastique, certaines attitudes contemporaines face à l'atome, la technique et le surnaturel. Il y dégage le caractère infantile et superstitieux des homme de notre temps.

    Pierre Boulle

    Son Gargantua, super pétrolier à propulsion atomique 
    de 600 000 t, après avoir provoqué des réactions de haine et d'hostilité, se voit l'objet d'une vénération aveugle pour avoir été à l'origine - coïncidence ? - d'une guérison miraculeuse. Et la marée noire tant redoutée en vient à sauver ceux qui la craignaient.

    En conclusion : " Le bon Leviathan s'enfonça dans la nuit africaine, pour distribuer les bienfaits de sa marée noire rédemptrice sur une mer de rêve. "


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