• Dino Buzzati - Le Désert des Tartares

    Le jeune officier Giovanni Drogo apprend enfin un matin de septembre qu'il est nommé au fort Bastiani, sa première affectation. Il voit dans cette mutation le commencement de sa vrai vie. Le fort Bastiani se trouve pourtant à une " frontière morte ", entoure d'un désert de pierres et de terre déssechée qu'on appelle, d'après une légende, le désert des Tartares ; il n'a jamais été le siège d'aucun combat. Le jeune lieutenant à tôt fait de décjanter devant cette bâtisse lugubre où il ne se passe rien. Ses supérieurs, le commandant Matti et le capitaine Ortiz, semblent hypnotisé par l'ennui et leur attente commune d'une attaque imaginaire des Tartares. Drogo accepte cependant de rester quatre mois, jusqu'à la visite médicale qui devrait le déclarer inapte à résider au fort. Mais une force inconnue, la mécanique des habitudes qui peu à peu sclérose la conscience, la vanité militaire et la fascination u désert vont s'emparer de lui et le retenir au fort de très longues années...

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     Le sujet du livre est une interrogation dramatique sur la raison de vivre et sur la fatalité du destin. Tout le récit est écrit au passé simple comme si le présent ne pouvait exister pour Drogo : il épuise ses pensées dans le souvenir de la ville où il était heureux, chez sa mère, et l'espoir d'une attaque des Tartares. Buzzati n'utilise le présent que pour s'adresser au lecteur et l'inviter à prendre conscience de la fatalité qui s'abat sur Drogo. Le vie du fort englue progressivement la conscience et engloutit les jours les uns après les autres, au point qu'ils ne semblent pas différents pour le jeune lieutenant, incapable de les distinguer. Même si, un jour, un soldat et son cheval sont tués dans le désert, que tout le fort se met en branle et s'excite à l'idée de la guerre, très vite la monotonie reprend ses droits, et les jours redeviennent les mêmes. La dérision du temps est plus forte que les événements.

    Le fort Bastiani n'est pas localisé. Il faut des journées de cheval depuis la ville pour l'atteindre alors que, pourtant, on le voit de la ville : c'est un mirage. A l'absurdité du temps qui passe, Buzzati ajoute l'absurdité d'un lieu véridique et illusoire à la fois isolé dans l'espace, à 30 km du village le plus proche, le fort est est le lieu de tous les possibles et de tous les rêves. 

    " C'est un livre d'une grandeur exceptionnelle non seulement dans la littérature italienne actuelle, mais même dans la littérature mondiale. Peut-être faut-il remonter jusqu'au Château et jusqu'au Procès de Kafka pour trouver une interrogation aussi dramatique et aussi passionnée sur la fatalité du destin humain " (Marcel Brion)  


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  • Barabas, prince des voleurs, ennemi de la société, est enfermé dans les geôles d'Hérode, à Jérusalem, en compagnie de deux comparses et d'un homme muet, mystérieux, à l'aura irrésistible : Jésus. Tous deux doivent être jugés par Pilate, que pressent les prêtres, tous hostiles à l'homme de Nazareth. Pilate s'en remet au jugement du peuple, qui sera libre de gracier l'un des deux hommes. Manipulé par le clergé, le peuple gracie Barabbas et condamne Jésus à la crucifixion. Dès lors, Barabbas, qui est un orateur capable de s'adapter à toutes les situations, s'insurge contre cette iniquité. Lui qui ne se disait d'aucun camps, qui revendiquait l'anarchie et la loi du plus fort, s'élève en juge. Il méprise les apôtres, trop résignés, et Judas, qui a trahi sans assumer la portée de son acte. 

    Dans Jérusalem, à l'heure où Jésus meurt, le barnum, propriétaire d'une baraque foraine, propose à Barrabas un spectacle relatant la Calvaire et la vie du brigand devenu l'idole du peuple. Barrabas ne peut supporter la parodie d'un événement qu'il juge si grave : il incendie les baraques foraines au nom de la justice et provoque une émeute pour venger le Christ...

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    En empruntant aux Saintes écritures l'histoire de la Passion et en la détournant, Michel de Ghelderode a moins voulu dépeindre la fin de Jésus que le déclin d'une idéologie et d'un société vouée à l'échec. En effet, dans Barrabas, tout n'est qu'inversion, Barrabas manie le verbe avec une aisance que l'on ne prêterait qu'à Jésus. Il harcèle les apôtres en leur jetant au visage leur lâcheté et leur traitrise. Les serviteurs de Jésus font figure de bien tristes représentants du message évangélique. De même, le clergé, tout entier voué à sa haine pour l'homme de Nazareth, est présenté comme une caste redoutable à la solde du mal, une antithèse de la religion. Le peuple enfin, ici symbole de la justice, libère un assassin et livre à la mort celui qui aurait pu rendre l'homme meilleur.

     Michel de Ghelderode nous dit : " Ne voulant pas écrire une Passion classique et ne voulant pas tremper ma plume au bénitier et faire un pastiche des Mystères anciens, j'ai pensé à composer quelque chose de contrariant, d'inattendu, et de populaire pourtant. J'ai vu l'envers de la Passion, la Passion vue à travers le peuple, vue d'en bas, des bas-fonds de Jérusalem. Au lieu de me trouver sur le Calvaire, avec les Honorables Témoins, je me suis mis au pied du Calvaire, avec la canaille. Pour incarner le peuple, la tourbe, cette foule violente, émotive, en état de transe, j'ai choisi le personnage dont on ne parle jamais et que l'écriture ne fait que nommer : Barrabas, celui qu'on a préféré à Jésus, celui qu'on a délivré à la place de Jésus. "   

     

     

      


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  • Pour tromper l'ennuie de leur longue chevauchée, Jacques conte ses amours à son maitre. Mai sans cesse des incidents, des rencontres ou des disgressions philosophiques du maitre viennent interrompre son récit. Le point souvent discuté par ce dernier est le fatalisme de Jacques, qui accepte avec bonhomie malheurs et bonheurs, braves et mauvaises gens, sous prétexte que tout " est écrit là-haut sur le grand rouleau " ; et si le destin est capricieux, il est rarement tragique. Et que l'histoire de ses amours soit sans cesse remise par d'autres contes devait être écrit là-haut. Aussi, lorsqu'ils arrivent à leur destination, Jacques est encore loin du dénouement de son récit, mais son maitre tue alors son ennemi, le chevalier de Saint-Ouin, présent à cet endroit par hasard. il était écrit que Jacques serait emprisonné, mais bientôt délivré par un fameux brigand, Mandrin. il retourne alors au château où il fut naguère accueilli et retrouve Denise, l'élue de son cœur, qu'il épouse. Pour l'heure, l'histoire de ses amours n'est pas achevée. 

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    Jacques le Fataliste, écrit sous l'Ancien Régime, publié en 1796, associe, come il est fréquent au XVIIIe siècle, dissertations philosophiques et aventures amoureuses. Jacques est ce que l'on pourrait appeler un libertin, non parce qu'il est débouché mais par l'extrême liberté d'esprit qu'il affiche. Si son maitre est le maitre, c'est par un coup du sort, et Jacques, une fois admise cette disposition des rôles - un maitre et un serviteur - parle en égal avec lui, comme des individus parfaitement indispensables l'un à l'autre. 

    La position de conteur, de qui l'auditeur est dépendant, donne à Jacques un sérieux avantage même si celle-ci est souvent contrariée par les interruptions du sort. Attribuer au " grand rouleau " les causes et les effets des actes humains empiète sur l'autorité et la supériorité de l'aristocrate : c'est l'atteinte à sa légitimité  même. Avec cette idée, courante à son époque, Diderot se montre souvent très drôle et illustre bien le ton badin que l'on attribue généralement au XVIIIe siècle.

    Ses écrits ne furent pas tous publiés de son vivant ; ainsi Jacques le Fataliste, composé en 1774, n'a été imprimé pour la première fois qu'en 1796. Ce chef-d'œuvre donne la mesure du génie de Diderot. Nulle lourdeur, nulle affectation, mais au contraire jaillissement, spontanéité. A chaque réplique, le rire fuse. La générosité, la jeunesse se reconnaissent à ce style. la postérité n'a pas manqué d'accorder à l'écrivain l'hommage que madame de Vandeul, sa fille, rendait à l'homme : "il est impossible de le connaitre sans l'aimer"    

     Pour illustrer le destin, dans sa "rhapsodie" de Jacques le Fataliste Diderot emploie l'image d'un grand rouleau des causes et des effets plutôt que celle, classique, d'un grand livre. c'est qu'un livre a un début et une fin et suppose quelqu'un qui l'a écrit. Ce quelqu'un qu'il a toujours refuser, sans parti pris ni hostilité systématique, simplement parce que cette hypothèse compliquait et obscurcissait encore plus, et inutilement, l'interprétation de la Nature, clef de la connaissance de l'homme. 

     

     


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