• Frankenstein et anonymat

    C'est le 14 mai 1817 que Mary et Percy ont fini de corriger le manuscrit de Frankenstein. On cherche alors un éditeur. John Murray, l'éditeur de Byron, après avoir hésité, le refuse. Le 3 Août de la même année, Shelley s'adresse à son propre éditeur qui refuse immédiatement. Il faut chercher alors un éditeur plus spécialisé dans les romans populaires et la littérature à sensation, Lackington, Allen & Co, lequel se montre intéressé et demande un certain nombres de corrections. Le manuscrit était anonyme et Shelley avait simplement déclaré que l'auteur était un de ses amis. Les corrections faites et jouant toutjours le rôle de l'intermédiaire, ils établirent un contrat qui partagerait à parts égales les recettes entre l'auteur et l'éditeur.
    Le 11 mars 1818, publication du roman toujours sans nom d'auteur, avec une préface non signée de Shelley, terminée par ces mots : " Marlow, septembre 1817 ". Couverture grise, reliure médiocre : tout l'aspect d'un roman bon marché.

    Si les lecteurs furent intrigués par l'identité de l'auteur anonyme, les spéculation allèrent dans deux directions : Percy Shelley et le père de Mary, auquel s'adressait la dédicace. Nul, ou presque, ne soupçonna que l'auteur était une femme. 

    Cinq ans plus tard, après le succès de la première pièce du roman, on négocia une nouvelle édition avec un autre éditeur. 
    Après quelques dernières corrections, le livre parait chez un nouvel éditeur cette fois signée par Mary Shelley. Le livre fut publié simultanément à Édimbourg et à Dublin. De nouvelles éditions suivirent en Angleterre en 1832, puis en 1849, deux ans avant la mort de Mary.

    Frankenstein et anonymat

    Une question que l'on peut légitimement se poser n'a pas souvent été évoquée, comme si la réponse allait de soi : pourquoi une publication anonyme ? On peut, pour faire vite aller chercher la réponse dans les usages de l'époque, où l'on trouve souvent soit des pseudos qui masquent la véritable identité, soit aucun nom.

     Ainsi Balzac, qui signe entre 1822 et 1825, huit romans sous les pseudonymes de Lord R'Honne et d'Horace de Saint-Aubin ; il publie en 1829, sous le couvert de l'anonymat, sa Physiologie du mariage, qui connait un succès de scandale.
    Fenimore Cooper, en 1820, à la suite d'un pari conjugal, écrit son premier roman, Précaution ou le choix d'un mari, ouvrage sentimentale qui parait sans nom d'auteur. On peut multiplier les exemples mais nous ne le ferons pas. Mais la publication la plus importante, c'est celle, en 1814, quatre ans avant Frankenstein, du premier roman de Walter Scott, Waverley, Walter Scott qui prendra vigoureusement la défense de Frankenstein...

     Deuxième élément de réponse : l'anonymat, surtout lorsqu'il s'agit d'un ouvrage atypique, renforce le sentiment d'étrangeté et, la curiosité aidant, a des chances de susciter le succès.

    Frankenstein et anonymat

    Malgré quelques romans écrits par des femmes, le milieu littéraire est suffisamment misogyne à l'époque pour qu'un nim de femme, d'une inconnue, d'une novice et si jeune, soit regardé avec une méfiance un peu goguenarde. 

    Certes Shelley raconte la fameuse soirée du quatre juin 1816, quand naquit l'idée d'un roman. Le narcissique Percy pouvait-il sans réticence, laisser sa jeune compagne étaler son nom au grand jour ? Mary était tout entière dans la dévotion de l'oeuvre de Percy. Elle le sera, certes, jusqu'à sa mort. Mais avec un oeil beaucoup plus critique, voire hypercritique, qui se fera jour dans la préface de 1831. 

    Roman anonyme donc, car il fallait qu'il le soit, de la volonté de Percy Shelley et avec l'approbation muette et obéissante de son aimante admiratrice. 

      

     

     

     

     


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  • Par certains aspects, Goethe fut sans conteste l'une des dernières personnalités ayant l'envergure des grands esprits de l'Antiquité ou de la Renaissance. L'étendue et la diversité de son savoir, de ses connaissances furent phénoménales ; il fut critique, écrivain, poète, dramaturge, journaliste, peintre, directeur de théâtre, homme d'Etat, pédagogue, philosophe et homme de science. Ses écrits scientifiques, pour ne parler que de cela, occupent près de quatorze volumes ! En littérature, il a laissé de la poésie, des romans, des drames, des récits autobiographiques, des essais critiques et une correspondance forcément volumineuse. Aujourd'hui, il reste l'auteur de l'un des monuments de la littérature mondiale, Faust, son testament spirituel, une oeuvre qui l'accompagna pendant toute sa vie, une oeuvre actuelle par sa richesse et sa complexité. 

    Johann Wolfgang von Goethe - Bio

    Originaire de Francfort-sur-le-main, où il naquit le 28 août 1749, Goethe était issus d'une famille aisée et cultivée, dont les caractéristiques symbolisent en quelques sorte les deux grandes forces qui allait animer le futur génie : la rigueur morale et intellectuelle du Nord et la passion, le génie créateur du Sud. Après une enfance décrite par Goethe lui-même comme heureuse, il étudia le droit à Leipzig, puis à Strasbourg, ce qui lui valut un poste d'avocat à la Cour impériale de Justice de sa ville natale. Mais la rencontre et l'influence du philosophe et écrivain Herder allait l'orienter définitivement vers son domaine de prédilection : la littérature. Il avait certes déjà publié des ouvrages de poésie et un hymne en prose mais c'est surtout grâce à un drame en prose, Götz von Berlichingen, et à un roman sentimental, Les Souffrances du jeune Werther, que Goethe connus ses premiers succès. En même temps, il se posait en chef de file du
    " Sturm und Drang " (Tempête et Élan), mouvement préromantique influencé par les idées de Rousseau et opposé au rationalisme de
    l' " Aufklärung " (La philosophie des Lumière). A moins de trente ans, Goethe était déjà le poète allemand le plus populaire.

    Johann Wolfgang von Goethe - Bio

    Sans jamais abandonné totalement sa carrière littéraire, Goethe entra en 1775 dans la vie publique, devenant conseiller du grand-duc Charles-Auguste de Saxe-Weimar. Il eut notamment la charge de directeur responsable de l'irrigation et des Routes, de commissaire à la Guerre, de directeur des Finances, de directeur de la Culture ; et cela ne l'empêcha nullement de se consacrer à divers travaux scientifiques très sérieux : en biologie, il fit évoluer la classification des être vivants ; en anatomie, il découvrit certaines structures du squelette humain ; en botanique, il établit la théorie de la métamorphose ; en physique, il s'opposa à la théorie de la lumière de Newton, adoptant ainsi une position qui tendit à le discréditer au sein du monde scientifique.  

    Johann Wolfgang von Goethe - Bio

    Ses multiples activités finirent tout de même par limiter le travail littéraire de Goethe, et c'est pour échapper à ses fonctions officielles qu'il entreprit un voyage en Italie, réalisant ainsi un rêve de jeunesse. Il put concrétiser son admiration pour l'idéal et l'esthétique antique au cours d'une période classique qui fut parmi les plus heureuses de sa vie et lui permit d'atteindre une grande maturité. De cette époque, on retiendra surtout les drames Iphigénie en Tauride (1786) et Torquato Tasso (1789), des poèmes et ballades, un roman d'éducation (Les Années d'apprentissage de Wilhem Meister) dans lequel il prend le contre-pied de Werther et abjure le romantisme, une épopée bourgeoise (Hermann et Dorothée), la première partie de Faust, Le Voyage en Italie et une autobiographie, Poésie et vérité.   

    Johann Wolfgang von Goethe - Bio

     

     Enfin, libéré de ses charges officielles, après avoir dû accompagner le grand)duc Charles-Auguste dans les campagnes prussiennes contre les armées de la Révolution française, Goethe occupa le poste de directeur du théâtre de Weimar. Surtout, grâce à l'amitié profonde et sincère de Schiller et à ses encouragements, il reprit le Faust, l'oeuvre qu'il n'avait jamais véritablement abandonnée et qu'il termina peu avant sa mort, le 22 février 1832. Avant cela, il avait encore publié deux autres chefs-d’œuvres : Les Affinités électives et Les Années de voyage de Wilhem Meister.   

     


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  • Fictions est un recueil de dix-huit nouvelles dont le fil conducteur appartient toujours au régime de l'hypothèse. Dans Tlön Uqbar Orbis Tertius qui ouvre le recueil, un étrange article de quatre pages, découvert à la lecture d'une encyclopédie, intrigue le narrateur. Il y découvre la description minutieuse d'un monde totalement inconnu, avec sa géographie, son histoire, sa littérature. Un monde créé de toutes pièces, au fil des siècles, par une confrérie secrète de savants, et qui, peu à peu, commence à ce faire réel, à donner signe de vie sous la forme de singuliers objets qui, jusque-là, n'existaient que dans de vieilles encyclopédies.

    Puis, succède à ce vertige la superbe Bibliothèque de Babel, où Borgès décrit la plus folle des rêveries bibliophiles : une bibliothèque infinie, contenant tous les livres jamais écrits, que les érudits parcourent leur vie durant, en quête du "Livre" qui à lui seul résumerait tous les autres.

    Jorge Luis Borges - Fictions

    Viendront à la suite une foule d’hypothèses qui seront autant de fictions sur les mystérieux auteurs de livres que nous pensions pourtant connaitre, ou encore sur les horlogers qui jouent à la loterie avec des civilisations.

    De toutes les nouvelles de Fictions, aucune n'est à proprement parler fantastique. Borges est plutôt un auteur de fictions "policières" ; mais, et c'est ce qui en fait son génie, si ces nouvelles sont traitées comme des intrigues ou des enquêtes, leurs héros sont des érudits férus de mystères et de spéculations métaphysiques.

    Indices et coupables sont dissimulés dans des livres ou devinés derrière le destin de civilisations. Le tour de force de Borges est de nous rendre tout à fait crédible ce savant délire spéculatif.

    Un "réalisme" que l'on doit au caractère très démonstratif d'une écriture dont le ton est toujours celui de l'évidence.

    Jorges Luis Borges est l'un des dix, peut-être des cinq, auteurs modernes qu'il est essentiel d'avoir lus. Après l'avoir approché, nous ne sommes plus les mêmes. Notre vision des êtres et des choses a changé. Nous sommes plus intelligents. Sans doute même avons-nous plus de cœur.  

       Conteur, poète, essayiste, il est reconnu comme le maître incontesté des lettres argentines. Toute son oeuvre est maintenant traduite en français.

     


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  • La ville sans juifs - Hugo Bettauer

     " Les juifs hors d'Autriche ! " C'est avec ce mot d'ordre que le Dr Schwertfeger, chef du parti social-chrétien a fait campagne. Devenu chancelier, il met en oeuvre son programme en promulguant une loi qui oblige les non-aryens à quitter le pays. Mais tout ne va pas se passer comme il espérait et les autrichiens vont vite se rendre compte qu'un pays ne se prive pas de ses forces vives sans en subir les conséquences...

    Après le départ du dernier Juif, fêté dans l'allégresse, l'euphorie retombe très vite. Des secteurs entiers de l'économie périclitent. Les Juifs savaient certes gagner de l'argent, mais avaient aussi l'art d'en dépenser. Le cours de la couronne s’effondre, le chômage et l'inflation galopent alors que, de son côté, la vie intellectuelle et culturelle tombe au plus bas. On en vient bientôt à souhaiter secrètement le retour des Juifs...

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    Ecrite quinze ans avant l'Anschluss, vendue à 250 000 exemplaires dès la première année, cette farce grotesque joue avec une drôlerie désespérée des clichés et sidère par sa puissance prémonitoire.

    En réalité, l'idée principale de l'auteur est de dénoncer l'antisémitisme montant et de démontrer jusqu'à l'absurde que les autrichiens "juifs d'origine" ne sont en rien responsables des problèmes multiples auxquels l'Autriche est confrontée et que leur départ ne ferait qu'aggraver la crise grave que traverse le pays.

    Ecrit en 1922, soit une dizaine d'année avant qu'Hitler ne s'empare du pouvoir en Allemagne, ce livre prouve que les théories nazies étaient largement répandues dans la société autrichienne.

    Malheureusement, l'histoire aura été autrement plus cruelle. C'est toutefois intéressant de voir dans ce roman les prémices ce ce qui allait suivre avec la dénonciation d'un antisémitisme galopant.

    Sous ces airs de farces, ce texte ne tombe pas moins juste, même s'il reste très en deçà de la vérité. Il permet d'analyser avec le recul la montée de l'antisémitisme.

    Un récit sidérant de réalisme lorsqu'on sait ce qui s'est déroulé ensuite dans notre Histoire !      

     


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