• Jorge Luis Borges

    Un jour, un mystique hindou décide de rêver un homme et de l'imposer à la réalité. Après plusieurs tentative, il y parvient. Ce sera pour s'percevoir, en constatant que le feu ne brûle pas, qu'il n'est lui-même que la création d'un rêve ! Qu'un autre " était en train de le rêver "...

    C'est l'argument des Ruines circulaires. L'univers de Jorge Luis Borges se situe au cœur du fantastique, entre rêve et réalité.

    Borges, c'est la vie faite littérature. Il naît le 24 août 1899 à Bueno Aires, sous le signe du livre. L'immense bibliothèque paternelle lui est ouverte sans restriction : mentalement, il n'en sortira plus.

    Sa précocité étonne, il déclare à son père qu'il veut être écrivain. A sept ans, il écrit - en anglais, langue que son père lui a apprise avant l'espagnol - un résumé de la mythologie grecque. A huit ans, il écrit son premier conte et, un an plus tard, une traduction (publiée) d'un conte d'oscar Wilde.

    Son succès apparaît donc normal. Mondialement reconnu, célébré, admiré, il a reçu plusieurs prix littéraires internationaux et de multiples distinctions. Ses tournées de conférences à travers le monde sont de véritables événements.

    Les joies de cette vie vouée à la poésie et au conte se sont pourtant assorties d'un malheur : pour Jorge Luis Borges, le monde de la maturité a été celui de la nuit. A quarante ans, un accident l'a rendu aveugle. Il ne s'en formalise pas : "J'ai commencé à être aveugle au moment où j'ai commencé à voir. C'est-à-dire que j'ai toujours été un peu aveugle" affirme-t-il...

    Jorge Luis Borges

    Cosmopolite de culture, cet écrivain latino-américain parle et écrit parfaitement en anglais, en espagnol et en français. 
    Nommé directeur de la bibliothèque nationale de Bueno Aires, il se pose comme un insatiable érudit, curieux de tout, inlassable voyageur, passionné de cinéma et fou de littérature.
    Son ambition est d'être un "théologien de notre temps". Mais un théologien sans foi : "Tout homme cultivé est un théologien", explique t-il.

    Mêlé très tôt à la vie littéraire internationale, il délaisse la poésie en 1925 pour se tourner vers un genre difficile, le conte.
    Et plus particulièrement le conte fantastique : " Parce que, écrit-il, la littérature fantastique requiert plus de lucidité et de rigueur, plus d'authentique exigence intellectuelle, plus de véritable souci esthétique. "

    C'est le fantastique qui va lui donner les moyens de développer les thèmes qui l'obsèdent. Par le fantastique, il va libérer les incertitudes métaphysiques et philosophiques qui structurent sa personnalité.

    Pour Jorge Luis borges, le monde n'a aucune cohérence. Il n'est même pas réel. Cette réalité que l'on connait n'est qu'une invention des hommes. Le temps, l'espace et l'identité personnelle n'existent pas non plus.

    Jorge Luis Borges

    Ainsi, dans l'Immortel, un des contes les plus élaborés de l'Aleph, son recueil le plus connu, le personnage vit à travers plusieurs siècles. Il met presque autant de temps que le lecteur à comprendre que, autrefois, il a été Homère et, en même temps, un des souscripteurs de la traduction d'Homère faite par Pope au XVIIIè siècle, un tribun romain et le juif errant. Le sens de cette métaphore est évident : un homme est tous les hommes. Mieux : je suis tous les hommes...

    Fictions (1944), l'Aleph (1949) ou le Manuel de Zoologie fantastique (1957) constituent les bases d'une oeuvre complexe, où la réalité s'évanouit et laisse place à un univers envoûtant de mythes et de symboles. En fait, l'oeuvre de Borges dissout les limites habituelles que nous impose le réalisme.

    Jorge Luis Borges

    La clé de cette oeuvre se trouve dans la répétition d'un certain nombre de figures, comme celle du labyrinthe, du miroir, du tigre ou du fleuve... A travers elles, l'écrivain s'acharne à développer son idée du chaos, l'assimilant au monde régi par hasard et dont nous ne pouvons rien comprendre.

    Dans la Loterie de Babylone, une loterie se substitue à l'Etat, puis à la vie, et finit par se confondre avec eux. Images de l'arbitraire de notre monde.

    Dans La Bibliothèque de Babel, l'auteur recrée l'Univers sous la forme d'une bibliothèque, immense et infernale. Les hommes y naissent à différents étages et passent leur vie à chercher, dans les livres aux mots confus, l'explication des fins dernières de la bibliothèque...

    Symbole majeure de l'oeuvre de Borges, le labyrinthe est à la fois ordre et chaos, prison et asile, passage vers le monde ou repli vers l'intérieur. Au lecteur de se retrouver. Ou de se perdre.

    Jorge Luis Borges

    Pour initier le lecteur à l'univers étrange de ces mythes, l'écrivain a su forger un langage parfaitement orignal. Le ton particulier de ses récits tient à ce mélange du passé lointain et du présent récent ; il mêle l'histoire de ses mythologies à la réalité contemporaine. L'originalité est aussi dans la complexité du réseau des références culturelles, réelles ou imaginaires. On passe de l’Égypte à l'Islam, de l'Inde à Rome et du vrai au faux. En effet, amateur de mystifications, Jorge Luis Borges n'a pas dédaigné écrire, dans certains journaux, des articles sur des livres totalement apocryphes.

    Il a ainsi revivifié les grands thèmes de la littérature fantastique. Celui de la contamination de la réalité par le rêve : Saïd, l'esclave d'Abenhacan, tue son maître, mais il finit par s'apercevoir qu'il "est" Abenhacan (Abenhacan et Bokhari mort dans son labyrinthe). Celui du voyage dans le temps : dans l'Autre Mort, un homme retourne dans le passé pour y connaitre une mort glorieuse. Celui de l'oeuvre dans l'oeuvre : c'est l'essentiel de la Quête d'Averroes. On y retrouve aussi l'angoisse du dédoublement, une vieille frayeur enfantine de Jorge Luis Borges, qui ne pouvait pas dormir dans une chambre qui abritait un miroir...

    Si un Aleph est un point minuscule de l'espace, qui emprisonne tout l'Univers vu sous tous ses angles, on aura compris que les contes fantastiques de l'univers de Borges sont autant d'alephs. Aux limites très humaines...

     


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  • J.H. Rosny Aîné

     

    Quoi de plus agaçant, pour un professeur, qu'un élève qui comprend tout avant les autres et qui est capable de résoudre des problèmes mathématiques ou scientifiques d'un niveau très largement supérieur à celui de son âge ?

    Quoi de plus agaçant, pour un père, qu'un enfant qui écrit en secret des contes où il est question d'une "association des enfants libres", qui se seraient retirés du monde pour fuir la "persécution" de leur parents ?

    Cet enfant, c'était J.H. Rosny Aîné à l'âge de onze ans. Toute sa vie, il allait rester fidèle à cette double image de "précurseur" scientifique et de passionné d'écriture. Né à Bruxelles en 1856, il s'appelle en réalité Joseph-Henri Boex et il s'enracine dans une lignée d'honnêtes bourgeois belges francophones. Plus tard, pour se distinguer d'un frère prénommé Séraphin-Justin, avec lequel il avait signé ses premiers ouvrages, il prendra le pseudonyme de J.H. Rosny Aîné.

    J.H. Rosny Aîné

    "Précurseur" Rosny Aîné l'est incontestablement, même si le grand public persiste à le méconnaître. De l'avis quasi unanime des spécialistes, il est l'un des plus grands auteurs de science-fiction et de fantastique de notre temps. Pour certains, il surclasserait même Jules Verne. Pour d'autres, il serait tout simplement... le fondateur de la science-fiction moderne !

    Une chose est certaine : c'est à J.H. Rosny Aîné que la langue française doit le mot "astronautique", inventé en 1928 au cour d'une réunion avec des homes de sciences qui considéraient cet écrivain comme un des leurs beaucoup plus que comme un banal romancier.

    Un autre signe qui ne trompe pas : on ne pille jamais que les trésors, et il existe de troublantes coïncidences entre certains sujets de J.H. Rosny Aîné et certains romans du britannique H.G. Wells...

    Enfin, et c'est incontestable, la science-fiction lui doit la première oeuvre où des intelligences extérieures à l'humanité sont pensées et pensent d'une manière non humaine. Jusqu'à la parution des Xipéhuz (1887), la littérature d'anticipation n'avait guère imaginé les extraterrestres que sous une forme plus ou moins humaine. Après les Xipéhuz, il faudra attendre les années trente pour qu'un écrivain de science-fiction rompe avec cet anthropomorphe tenace !

    J.H. Rosny Aîné

    Curieusement, ce n'est pas pour cette partie-là de son oeuvre que Rosny Aîné est le plus connu, mais pour ses "romans préhistorique" : La Guerre du feu (1909), constamment réédité depuis, mais aussi Le Félin géant (1918), ou Helgvor du fleuve Bleu (1930).

    Servis par un style tour à tour rude, presque brutal, et flamboyant, un peu à la manière de Victor Hugo, ces romans expriment parfaitement une des idées majeures de l'auteur : l'homme d'aujourd'hui, qui se croit le maître du monde, n'est qu'une des nombreuses formes de vie jaillies du grand bouillonnement de l'Univers. Son règne n'est qu'une fugace parenthèse dans le grand flot de l'immensité.

    De même qu'il y a eu des premiers hommes, très différent de nous, il y aura le dernier homme, celui qui clora notre cycle. La description de sa fin reste un des plus beaux fleurons de l'oeuvre de J.H. Rosny Aîné : "Un frisson secoua sa douleur, écrit-il dans La Mort de la Terre (1910). Il songea que ce qui subsistait encore de sa chair s'était transmis, sans arrêt, depuis les origines. Quelque chose qui avait vécu dans la mer primitive, sur les limons naissants, dans les marécages, dans les forets, au sein des savanes et parmi les cités innombrables de l'homme ne s'était jamais interrompu jusqu'à lui... Et voilà ! Il était le seul homme qui palpitât sur la face, redevenue immense, de la Terre. "

    Les dernières lignes de l'ouvrage sont admirables de grandeur et de concision : " Il eut un dernier sanglot. La mort entra dans son cœur et, se refusant l'euthanasie, il sortit des ruines, il alla s'étendre dans l'oasis. Ensuite, humblement, quelques parcelles de la dernière vie humaine entrèrent dans la Vie Nouvelle... "

    J.H. Rosny Aîné

    D'autres "vies" sont donc possible. Dans les Xipéhuz, Rosny Ainé a décrit le combat entre des hommes et des créatures électriques. Dans La Mort de la Terre, ce sont des "ferromagnétaux" qui ont eu raison de l'humanité. Dans Les Navigateurs de l'infini (1925)des Terriens rencontrent des Martiens, qui ont trois pieds et six yeux, mais qui sont d'une beauté enchanteresse. Dans Les Astronautes, un Terrien s'éprend d'une Martienne qu'il aide contre ses ennemis Zoomorphes.

    Dans le domaine du fantastique, J.H. Rosny Aîné mettra en scène une vampire (La Jeune Vampire (1920), qui n'est pas sans annoncer le Rosemary's baby d'Iran Levin. Il campera également des doubles et des clairvoyants, et avec le même bonheur.

    J.H. Rosny Aîné

    Avec un vocabulaire concret, accrocheur, où des mots comme "terrible", "gigantesque", "sauvage" reviennent à la manière du refrain d'un hymne, avec son sens du rythme et du récit, J.H. Rosny Aîné aura été bien plus qu'un touche à tout de génie : rarement, l'esprit rationnel des scientifiques aura autant servi l'imagination propre aux bond romanciers. Rarement on aura chanté avec tant de force et de conviction le devenir du monde et de la vie. 

    Cette oeuvre, qui, du conte bref au roman-fleuve, comprend une cinquantaine d'ouvrages, pourrait paraître vieillie. En fit, comme toutes les grandes créations, elle s'est bonifiée en prenant de l'âge : si elle paraissent désuètes, certaines scènes ne font que renforcer l'aspect visionnaire de l'ensemble.

    J.H. Rosny Aîné , l'homme qui a réinventé l'histoire des hommes, de la préhistoire aux astronautes, est mort en 1940 : il n'avait jamais vu un médecin de sa vie... A la réflexion, son oeuvre lui ressemble : elle se suffit à elle-même. Elle n'a besoin ni de purges, ni de béquille !


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  • Une mission d'exploration atterrit sur Mars où elle découvre une race extra-terrestre, les tripèdes, dotés de trois jambes, six yeux et irradiant une surnaturelle beauté. Ces Martiens sont les derniers représentants d'une espèce très ancienne et très évoluée qui disparaît peu à peu, cédant la place à une nouvelle forme de vie, les Zoomorphes. Ces créatures minérales, moins intelligentes que les tripèdes, sont toutefois plus jeunes et plus dynamiques...

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    Ce titre est considéré comme un des plus importants de la carrière du grand-père de la science-fiction française. 
    Il s’agit de la première oeuvre du genre à utiliser le terme astronautique. Également, à mettre en scène un rapprochement sentimental entre un mâle humain et une femelle extra-terrestre. 

    Le style du roman est concis et une ode poétique dédiée aux puissances de l'amour et de la science, un plaidoyer pour la compréhension entre les races et soutien l'idée que tout les êtres vivants, les hommes aussi bien que les étrangers sont en quelques sorte relié au grand schéma des choses. 
    Une approche différente de celle, xénophobe de Wells avec "La guerre des monde"

    Compte tenu de l'état des connaissance scientifiques de l'époque, la qualité des descriptions et des techniques, les navigateurs de l'infini n'a rien à envier à son contemporain Jules Verne.

    Les navigateurs de l'infini est un récit paisible. A travers la bouche du narrateur Jacques, échanges avec ses compagnons et les Tripèdes, Rosny émet un certain nombre de réflexions sur la place des Hommes dans l’univers, confrontant la vision d’une espèce perdue dans l’immensité du monde à l’importance de la mémoire et du souvenir de ce qui aura marqué l’histoire d’une planète.

    Une œuvre qui a séduit touts les générations et qui a su concilier à merveille science et littérature.

     


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  • Bram Stoker - Dracula

    Le comte de Dracula, retiré en son château de Transylvanie et désireux de s'installer à Londres, fait venir dans les Carpates Jonathan Harker, jeune expert chargé des transactions. Dans ce château inquiétant, Jonathan est retenu prisonnier. Il parvient à s'échapper et, de retour à Londres, il ne sait plus très bien s'il a rêvé. Mais la mort étrange de Lucy Westenra, amie de Mina Murray, la fiancée de Jonathan, ressemble dans ses manifestations aux récits de vampire que Jonathan a entendu durant son voyage et auxquels il refusait de porter crédit. Lucy est morte de morsure au cou qui l'on, nuit après nuit, vidée de son sang. Arthur Hilmwood, qui devait épouser Lucy, le docteur John Steward, directeur d'un asile d'aliéné, le docteur Van Helsing, savant éminent, un jeune américain, Quincey P. Morris, Mina et Jonathan vont conjurer leurs efforts afin de réduire à néant les pouvoir maléfique du comte...

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    Bram Stoker - Dracula

    Appartenant à une société secrète, pénétré d'ésotérisme et rompu aux pratiques magiques, Bram Stoker entreprit de nombreuses recherches sur les traditions populaires avant de donner naissance à Dracula, archétype de la littérature fantastique. Le personnage qui lui a été inspiré par un prince valaque du XVè siècle réputé pour sa cruauté, Dracula fait figure de symbole, il est la projection du drame des protagonistes, qui au terme d'un combat périlleux contre les forces du mal, affirment leur identité. Le roman, qui a pour cadre la société victorienne de la fin du siècle dernier, fourmille de détails sur la société. Il se construit au gré des notes consignées par les protagonistes, qui narrent les difficultés d'un quotidien perturbé par l'intrusion de forces surnaturelles.

    Dracula... Ce mot incarne aujourd'hui pour nous l'idée même du vampirisme, et non plus seulement, hélas son aspect occulte, car il se charge de résonances effectives dont les aspect morbides sont loin d'être absents. 

    Quand paru Dracula, le genre fantastique n'était plus en littérature de date récente... Et ce livre qui en est un des sommets présente aussi l'originalité d'être un roman, pas seulement un conte. 

    Ici, le surnaturel fait violemment irruption dans la vie quotidienne, tout merveilleux est exclu au profit de l'opposition entre deux mondes : l'un réaliste à l'extreme, l'autre incroyable, terrifiant et baigné de surnaturel, le "passage" qu'il est difficile de rendre admissible au lecteur.

    Parce que Stoker, comme tout Anglo-Saxon de culture, a un sens aigu des valeurs humaines traditionnelles, parce qu'il a un sens affirmé de la faute et du péché, une leçon se dégage, celle de l'épreuve qui donne la paix de l'âme et la sanctifie.

    Une histoire longue et douce, envahissante et prenante à la gorge  écrite sans coup férir , une plongée d'horreur raconté et commenté par un jeune notaire. Mais surtout un début froid, atrocement tranquille, qui respire l'effusion de tension ,on s'attend à n'importe quoi !  

    Bram Stoker - Dracula

     N'oublions pas Van Helsing, ses propos sont toujours fidèlement rapportés par les autres protagonistes. À l'instar de Dracula, c'est parce qu'il produit peu de contenu écrit qu'il semble vraiment puissant. Van Helsing et Dracula ne s'incarnent pas dans l'écriture, mais dans l'action. le professeur flamand est le seul réel adversaire du comte : les autres ne sont que des sous-fifres, certes dévoués et courageux, mais constamment sceptiques et sujets à des accès d'émotion. Van Helsing est « un philosophe, métaphysicien, un des hommes de science les plus avancés de cette époque, un de ces rares hommes qui, en dépit de son monstrueux savoir, ait gardé un esprit ouvert. Ajoutez à cela des nerfs d'acier, un tempérament que rien ne vient briser, une résolution indomptable, une maîtrise de soi, une tolérance sans pareille et, enfin, un cœur d'or. » 

    Oscar Wilde disait de cette oeuvre qu'elle était, peut-être, le plus beau roman de tous les temps. 


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